Le Venezuela trace la voie d'une réponse progressiste à la crise

Le président vénézuélien Hugo Chávez a présenté ce samedi 21 mars une série de mesures économiques face à la crise mondiale. Alors que les gouvernements néolibéraux entendent faire payer la débâcle capitaliste aux travailleurs, Caracas ouvre la voie d'une réponse progressiste. Il s'agit, entre autres, de débloquer 100 milliards de dollars d'investissements publics sur les quatre prochaines années, d'augmenter de 20% le salaire minimum en 2009 et de limiter les revenus des hauts fonctionnaires.

Ces 100 milliards de dollars d'investissements publics se traduiront, entre autres, par la construction d'infrastructures et de nouveaux logements. (Photo: Seb)

L'annonce était attendue par beaucoup, y compris par l'opposition qui espérait des mesures impopulaires comme l'augmentation du prix de l'essence ou une dévaluation du Bolivar (la monnaie locale). Rien de tout cela ne figurera finalement à l'agenda. (1)

A contre-courant des recommandations classiques du FMI ou de la Banque mondiale, Caracas a présenté ce samedi un plan d'investissements publics à hauteur de 100 milliards de dollars (2) sur les quatre prochaines années. "Le gouvernement révolutionnaire va investir une masse globale de 100 milliards de dollars. Et cela n'inclut pas les investissements pétroliers qui eux atteindront 125 milliards. C'est une des plus fortes mesures anticycliques et anticrise", a expliqué le président Chávez.

Par ailleurs, le budget 2009 de l'Etat sera revu à la baisse (- 6,7%) et recalculé sur un prix du baril de pétrole à 40 dollars, au lieu des 60 dollars comme base actuelle. Afin de faire face à cette réduction, l'Etat doublera pratiquement son endettement interne et fera des économies sur les salaires des haut fonctionnaires.

Selon les chiffres présentés par le président Chávez en Conseil des ministres, la dette externe du Venezuela représentait 64,1% du Produit intérieur brut (PIB) il y a 20 ans et se situe aujourd'hui à 9,3% (fin 2008). La dette interne se situe quant à elle à 4,3% du PIB. "Ce pourcentage peu élevé nous permet aujourd'hui de prendre des mesures d'augmentation (de la dette interne), calculées de façon exacte afin de nous protéger et de nous renforcer", a-t-il expliqué.

Par ailleurs, le mandataire a appelé l'Assemblée nationale (le Parlement) à légiférer afin de limiter les salaires des hauts fonctionnaires. En ce qui concerne l'Excécutif, un décret devrait être publié dans les prochains jours afin de réviser et réduire les revenus les plus élevés. Les dépenses somptueuses sont également concernées. "Nous allons éliminer les frais des véhicules de luxe, les cadeaux, la construction de nouveaux sièges, les missions à l'étranger, la publicité superflue, etc.".

Hausse du salaire minimum

Parmi les mesures figure également une augmentation du salaire minimum de 20% en deux étapes: 10% à partir du premier mai et 10% en septembre prochain. Celui-ci passera donc, cette année, de l'équivalent de 274 euros à 331 euros par mois, se maintenant parmi les plus élevés d'Amérique latine.

La seule décision qui sera directement répercutée sur le portefeuille de la population, afin d'équilibrer en partie le budget de l'Etat, est l'augmentation de 3% de la TVA. Elle passe ainsi de 9 à 12%, loin derrière les 16% de la fin des années 90. "De la même manière que nous avions réduit la TVA de 14 à 9% lorsque nous jouissions des hauts revenus pétroliers, maintenant nous effectuons une augmentation prudente", a fait remarquer Chávez.

Finalement, le gouvernement a confirmé la nationalisation (annoncée il y a déjà plusieurs mois) de la banque filiale du groupe espagnol Santander, Banco de Venezuela. Si cette décision se concrétise, l'Etat vénézuélien contrôlera 25% du secteur bancaire et en sera l'acteur le plus important. Ces actions, accompagnées de la ferme volonté de maintenir les dépenses sociales en matières d'éducation, de santé et d'infrastructures, démontrent qu'il n'y a pas de fatalité face à la crise capitaliste et qu'un gouvernement souverain, non soumis aux diktats des institutions financières internationales et des entreprises, peut agir en fonction des intérêts des travailleurs... lorsque l'intention y est.

Notes:

(1) La chaîne privée Globovision était même allée jusqu'à inventer l'annonce imminente d'une diminution de la quantité de devises étrangères octroyées à chaque Vénézuélien. L'information, qui s'est révélée totalement fausse, fut relayée par plusieurs médias d'opposition avant d'être démentie par un communiqué du ministère de l'Economie et des Finances.

(2) Le 23 mars, un dollar était égal à 0,73 euro.

"La crise pourrait mener à une économie mondiale organisée sur la base de blocs régionaux"

Cet entretien avec l’économiste chilien Orlando Caputo fut réalisé en décembre 2008 à Santiago du Chili et publié en espagnol sur le site Rebelion.org en janvier. Malgré les trois mois écoulés depuis lors, j'estime qu'il garde en bonne partie sa pertinence, surtout à l'heure où les "maîtres du monde" se réunissent à Londres dans le cadre du G20.

(Photo: Seb)

Orlando Caputo est économiste et a dédié la majeure partie de sa vie à l’activité académique, sauf durant la période de gouvernement du président Salvador Allende, pendant laquelle il se trouva à la tête de l’industrie chilienne du cuivre. A 28 ans, il fut nommé représentant personnel d’Allende au comité exécutif de Codelco (Corporation nationale du Cuivre) et a ensuite occupé le poste de gérant général de cette entreprise publique.


Après le coup d’Etat militaire il s’est exilé au Mexique où il a vécu 17 ans et a enseigné à l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM). Dans ce pays, il a participé à la création du Réseau d’Etudes de l’Economie mondiale (1), dont il est toujours membre aujourd’hui.


Son sujet d´étude principal est l’économie mondiale et il insiste: "pas ‘inter-nationale’, mondiale". Monsieur Caputo revendique une interprétation différente de la crise économique, "y compris de celle que font certains secteurs progressistes". Il estime que la crise pourrait ouvrir de nouvelles possibilités et alternatives, mais il signale de nombreuses déficiences parmi les partis et un manque de conscience politique chez les mouvements sociaux. "Le capitalisme a la capacité de résoudre cette crise", prévient-il.


Quelle est votre interprétation de la crise actuelle ?


Il s'agit d'une crise immobilière qui s'est transformée récemment en crise de l'économie mondiale et je pense que nous n'en sommes qu'au début. Cette crise, depuis le départ, a été analysée sur la base d'éléments qui me paraissent très critiquables. Parmi ceux-ci le fait de la qualifier de crise financière.

Cela me paraît bizarre parce que c'est en fait une crise immobilière qui regroupe deux secteurs: un secteur réel et un secteur financier. Mais en plus on parle de crise financière alors que la globalisation de l'économie mondiale a fait en sorte que le capital productif soit devenu relativement indépendant du capital financier.


Dans les années 80, environ 50% des bénéfices des entreprises productrices de biens et services étaient captés par le secteur financier. Cela a diminué énormément jusqu'à atteindre entre 10 et 18%. Et cela va même plus loin, ces entreprises ont obtenu des bénéfices si élevés qu'elles se sont transformées en prestataires nettes du système financier.


Souvenons-nous que la globalisation de l'économie mondiale, appuyée par le néolibéralisme, s'est instaurée parce que les bénéfices et les taux de rentabilité (2), dans les années 60 et 70, étaient bas. Les entreprises ont alors commencé à affronter cela en s'ouvrant au monde, en investissant partout, en exigeant le libre commerce, etc.


Que signifie cette globalisation de l'économie du point de vue des relations sociales de production?


Elle signifie une domination du capital sur le travail: flexibilité du travail, tertiarisation, etc. La flexibilisation des processus productifs divise le monde du travail. Qu'est-ce que cela implique? Cela implique que dans le monde il y a eu une diminution des salaires accompagnée d'une augmentation directe des bénéfices des entreprises.

L'augmentation des bénéfices est due aussi à d'autres raisons, notamment parce que les entreprises s'approprient les ressources naturelles. Le néolibéralisme défend comme cause principale, en plus de la "liberté de choisir", la propriété privée des ressources naturelles. Par ailleurs, on augmente aussi le pouvoir du capital sur les Etats.

Le monde est dominé par les grandes multinationales productrices de biens et services et non par le capital financier. Cela ne veut pas dire que le capital financier ne soit pas important, il est très important. Mais le capital a besoin de créer un bénéfice et pas seulement de jouer avec des bénéfices antérieurs, des accumulations de fonds, etc.

Dans les pays développés, cette indépendance relative se réalise concrètement. Dans le cas de l'Amérique latine, le capital financier mondial et le capital productif agissent conjointement car les dénationalisations, l'organisation de la production et les nouvelles entreprises se créent avec très peu de capital frais et avec beaucoup de crédits associés. Et donc en Amérique latine, pour ainsi dire, l'exploitation est double.

"Le monde est dominé par les grandes multinationales productrices de biens et services et non par le capital financier"

Si on voit les choses de cette manière, cela veut dire que dans le monde il y a un excès de capital qui va vers les fonds, vers l'appareil financier. Les entreprises y mettent tout le capital liquide qu'elles ne vont pas utiliser, les gouvernements aussi y mettent leurs réserves; des fonds souverains se créent dû aux prix élevés des matières premières durant une certaine période, les fonds de pensions et aussi d'autres types de fonds se créent aussi.

Les entreprises ne sont plus demandeuses de crédits car elles sont désormais des prestataires nettes. Mais cela représente un problème: à qui vont-elle prêter? C'est là que se développent les entreprises technologiques, les "point com", qui expliquent la crise de 2001. Mais après, où investissent-elles leur capital excessif? Elle n'avaient plus où prêter et c'est là que le secteur construction a joué un rôle important, non seulement aux Etats-Unis mais aussi dans le monde.


Les entreprises n'ont pas besoin de capital car elles réalisent leurs investissements, leurs élargissements et fusions à partir de capitaux propres. Evidemment tout est relatif, sur 100% elles obtiennent peut être 15% de crédits. Mais ce qu'elles trouvent comme sortie c'est le développement du secteur immobilier, en finançant de grands projets à grands coups de crédits.


Ça c'est le système qui a échoué aux Etats-Unis et ailleurs. Cette interprétation est complètement différente de ce qu'on peut entendre sur le sujet. Cette crise n'a jamais été seulement financière, c'est une crise de la globalisation et du néolibéralisme. Et la crise s'est maintenant transformée parce que, jusqu'au deuxième trimestre 2008, les bénéfices des entreprises productrices de biens et services, non résidentielles, ne diminuaient pas énormément aux Etats-Unis. Les véritables crises ne peuvent se développer s'il n'y a pas une importante chute des bénéfices et des taux de rentabilité. Et cela est en train d'avoir lieu à l'heure actuelle.

Considérez-vous cette crise comme une opportunité pour développer des alternatives?

Cette crise pourrait mener à une rupture du processus de globalisation actuel et à une économie mondiale organisée sur la base de blocs régionaux. Mais continuer à l'analyser comme une "crise financière" c'est déplacer la préoccupation fondamentale. C'est déplacer le fait que la plus importante contradiction de notre époque se trouve entre le capital et la société humaine, représentée par les travailleurs et les mouvements sociaux qui défendent aussi les ressources naturelles et la nature.

La crise peut ouvrir des possibilités mais je pense qu'il y a beaucoup de déficiences politiques, il n'y a pas de conscience. Le mouvement est très faible mais s'il y avait une conscience politique et si les partis se positionnaient, il pourrait alors surgir un processus de rébellion afin d'exiger de nouvelles structures mondiales, un nouveau système financier et monétaire.

En Amérique latine on peut arriver à faire de grandes choses: un processus d'intégration qui tienne compte de l'intérêt des peuples et pas seulement des entreprises, qui diversifie les économies nationales, qui ne soit pas seulement commercial mais qui soit plutôt un processus d'intégration globale et avec une monnaie propre, une Banque du Sud, etc. Les conditions sont réunies.


Notes :

(1) Red de Estudios de la Economía Mundial (www.redem.buap.mx). Orlando Caputo est également membre du groupe de travail sur l'Economie mondiale, les Corporations transnationales et les Economies nationales, du CLACSO (Conseil latino-américain des Sciences sociales, www.clacso.org.ar).

(2) «Las tasas de ganancias».

Source: la voix du Sud