Traduction libre du dernier article de Noam Chomsky, paru le 5 janvier dans l’International Herald Tribune, plus factuel qu’analytique. Les liens ont été ajoutés à la main.
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Le mois dernier, la coïncidence d’une naissance et d’une mort ont marqué un signal de transition pour l’Amérique du Sud et pour le monde.
L’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet est mort alors que des dirigeants de pays sud-américains se réunissaient à Cochabamba (Bolivie), pour un sommet de deux jours accueilli par Evo Morales, dont l’ordre du jour était à l’antithèse de Pinochet et de son époque.
Dans la déclaration de Cochabamba, les Présidents et les représentants de 12 pays ont pris le principe d’étudier l’idée de former une communauté continentale similaire à l’Union européenne.
Cette déclaration marque une nouvelle étape vers l’intégration régionale de l’Amérique du Sud, 500 ans après les conquêtes européennes. Le sous-continent, du Venezuela à l’Argentine, pourrait constituer un exemple pour le monde : celui de la création d’un futur alternatif à partir d’un empire de terreur.
La domination des Etats-Unis sur la région s’est appuyée sur deux méthodes principales : la violence et l’étranglement économique. D’une façon générale, les affaires internationales ont plus qu’un air de ressemblance avec la mafia. Le parrain ne le prend pas à la légère quand on le met en colère, même si c’est le fait d’un petit commerçant.
Des tentatives d’indépendance ont précédemment été écrasées, en partie en raison d’un manque de coopération régionale. Sans elle, les menaces peuvent être traitées une par une. (L’Amérique Centrale, malheureusement, n’en est pas à surmonter les peurs et la destruction héritées des décennies de terreur américaine, surtout celle des années 80.)
Aux yeux des Etats-Unis, le véritable ennemi a toujours été le nationalisme indépendant, surtout quand il menace de devenir un « exemple contagieux », pour reprendre la qualification utilisée par Henry Kissinger pour décrire le socialisme démocratique au Chili.
Le 11 septembre 1973, les forces de Pinochet attaquaient le palais présidentiel chilien. Salvator Allende, Président démocratiquement élu, mourut dans le palais, apparemment de sa propre main, refusant de se rendre à l’attaque qui allait démolir la plus ancienne et vivante démocratie d’Amérique Latine et établir un régime de torture et de répression.
Le bilan officiel du régime fut de 3200 morts. Le véritable bilan est généralement estimé au double. Une enquête officielle menée 30 ans après le coup d’Etat fait état d’environ 30 000 cas de torture sous Pinochet. Parmi les dirigeants présents à Cochabamba figurait la présidente chilienne, Michelle Bachelet. Comme Allende, elle est socialiste et physicienne. Elle est aussi une ancienne exilée et prisonnière politique. Son père, général, mourut en prison après avoir été torturé.
A Cochabamba, Morales et son homologue venezuelien Hugo Chavez ont célébré un projet de joint-venture dans le domaine du gaz en Bolivie. Une telle coopération renforce le rôle de la région comme acteur majeur de l’énergie mondiale.
Le Venezuela est le seul pays latino-américain déjà membre de l’OPEP, avec de loin les plus grandes réserves de pétrole en dehors du Moyen-Orient. Chavez soutient Petroamerica, un système d’énergie intégré du même type que celui que la Chine tente de lancer en Asie.
Le nouveau président équatorien, Rafael Correa, a proposé une voie commerciale qui relierait la forêt amazonienne brésilienne à la côte pacifique de l’Equateur – un équivalent sud-américain au canal de Panama.
D’autres projets prometteurs incluent Telesur, une chaîne de télévision pan-latinoaméricaine basée au Venezuela avec la volonté de briser le monopole des médias occidentaux.
Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, a appelé ses collègues dirigeants à surmonter les différences historiques et à unifier le continent, quelle que soit la difficulté de la tâche.
L’intégration est un pré-requis à l’authentique indépendance. L’histoire coloniale – l’Espagne, l’Angleterre, d’autres puissances européennes, les Etats-Unis – a non seulement séparé les pays les uns des autres, mais a aussi laissé des divisions acides au sein des pays, entre de petites élites riches et des masses de peuples miséreux.
Les principaux contrôles économiques des dernières années ont été le fait du Fonds Monétaire International, qui est virtuellement une branche du Ministère des finances étasunien. Mais l’Argentine, le Brésil et maintenant la Bolivie ont pris des initiatives pour se libérer des contraintes du FMI.
En raison des nouveaux développements en Amérique du Sud, les Etats-Unis ont été forcés d’ajuster leur politique. Les gouvernements qui ont aujourd’hui l’appui des Etats-Unis – comme le Brésil de Lula – auraient très bien pu être renversés dans le passé, comme le fut le Président brésilien Joao Goulart en 1964, à la suite d’un coup d’Etat soutenu par les USA.
Il n’en reste pas moins que, pour faire accepter sa ligne politique, Washington a besoin de passer certains faits sous silence (1). Par exemple, quand Lula fut réélu en octobre, un de ses premiers actes fut d’aller soutenir Chavez, alors en campagne, à Caracas. De plus, Lula a lancé un projet brésilien au Venezuela, un pont sur la rivière Orinoco, et discuté d’autres joint-ventures.
Le tempo s’accélère. Le mois dernier, le Mercosur, la communauté économique des pays d’Amérique du sud, a poursuivi le dialogue sur l’unité sud-américaine au cours de son sommet biannuel au Brésil, qui a aussi vu Lula inaugurer le parlement du Mercosur – un autre signe prometteur de délivrance des démons du passé.
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(1) en anglais : “To maintain Washington’s party line, though, it’s necessary to finesse some of the facts”
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