Le Venezuela paysan

crédits photo: Pierre Doury

Par Teodoro Guevara et Arturo Alvarez Vega.

Membres de la Coordination nationale du Movimiento Agrario Ezequiel Zamora (mouvement agraire Ezequiel Zamora , MAIEZ, organisation affiliée à la Coordinadora Agraria Nacional Ezequiel Zamora, CANEZ). Ils militent l'un et l'autre depuis plus de 40 ans dans le mouvement paysan vénézuélien.


Extrait de "Vía Campesina: une alternative paysanne à la mondialisation néolibérale " (voir informations en fin de l'article)


Venezuela : les lois sur la terre et sur la pêche, des lois pour venir à bout de la pauvreté et de la dépendance

Ce bloc de lois, approuvé par l'exécutif après une intense période de consultations, d'investigations et de discussions, a soulevé l'ire de petits mais puissants secteurs du pouvoir économique du pays. Alarmés, ceux-ci se sont mobilisés pour tenter de pervertir le contenu progressiste et solidaire de ces mesures et s'opposer à une modernisation de l'appareil économique ; ils en ont fait l'enjeu d'un conflit politique avec pour seule fin de défendre leurs intérêts particuliers et de perpétuer un système totalement injuste et irrationnel qui, au cours de ces quarante dernières années, n'a apporté aucun progrès dans l'économie et la production nationale. Ces groupes d'opposants furent ceux-là mêmes qui, durant toute cette période, vécurent grassement de subventions gouvernementales, sans rendre de comptes à la nation, comblés qu'ils étaient par des gains faciles.

Aucun doute n'est possible. Pour le peuple vénézuélien, pour les travailleurs et les travailleuses, ces lois constituaient un bienfait qui se traduit aujourd'hui par un ordre juridique plus juste et conforme à la Constitución bolivariana - approuvée par référendum par une immense majorité des Vénézuéliens, y compris par nombre d'entrepreneurs honnêtes qui, en soutenant la production nationale et en s'opposant à l'emprise réactionnaire des sociétés transnationales, bénéficient du coup d'une certaine protection de leurs propres investissements.

Les travailleurs et les travailleuses de divers secteurs ont montré leur appui à ces lois, entrées en vigueur en novembre 2001. Ils ont infligé un cinglant démenti au discours du président de la Confédération des travailleurs du Venezuela et mis à nu autant son peu de représentativité que l'illégalité de son pouvoir en faisant échec au coup d'Etat fasciste du 11 avril dernier, dont l'un des buts était justement d'en empêcher l'application.

Les Lois sur les terres et sur la pêche

Savez-vous qu'à elles seules huit familles du pays possèdent conjointement plus de 150 mille hectares de terrains ? Pouvez-vous seulement l'imaginer ? Cela représente à peu près l'équivalent de dix-huit fois la surface de la capitale du Venezuela, Caracas, où vivent plus de 4 millions de personnes. Savez-vous de surcroît que ces immenses biens fonciers demeurent la plupart du temps non cultivés, alors qu'ils sont situés dans les régions les plus fertiles du pays ? Eh bien, ce sont ces familles qui ont pris la tête de l'opposition à la Loi sur les terres et le développement agraire (Ley de Tierras y Desarrollo Agrario). De plus, il y a lieu de souligner ici que certaines grandes exploitations, comme par exemple la compagnie de production de liqueurs Santa Teresa, implantées dans les vallées de l'Aragua, ne disposent d'aucun titre de propriété sur les terres qu'elles occupent.

Et l'on pourrait multiplier les exemples de l'inégale distribution des terres dont la révolution bolivarienne a hérité. Une grande partie des exploitants ne pouvaient légitimer leurs possessions, beaucoup de leurs titres de propriété étant des faux ou résultant de successions provenant de " cadeaux " offerts par des gouverneurs de province, des présidents d'Etats ou du président de la République, faits non seulement à l'époque plus obscure de la fin du 19e siècle, mais longtemps encore au cours du 20e.

Les détenteurs de terre qui s'opposent à la loi sont les premiers à prétendre que celle-ci constitue une " offense à la propriété " au motif qu'elle les oblige à payer un impôt si ces étendues, parmi les plus productives du pays, restent inutilisées. Or qui sont ces gens ? Il s'agit de secteurs parasites qui jouissent de revenus facilement acquis et qui pratiquent l'élevage sur des sols qui conviendraient pourtant tout particulièrement à l'agriculture, sans même apporter un quelconque développement à ce domaine d'activités. Ce sont les secteurs qui profitent de l'agriculture " de port ", qui l'encouragent même, renforçant du même coup la dépendance agroalimentaire du pays, tout en vivant de subsides d'Etat dont ils ne rendent aucun compte.

La loi met en place un ensemble d'avancées qui fortifient le mouvement paysan, la sécurité agroalimentaire et le développement de l'appareil productif. Elle protège les paysans pauvres, stimule la formation de coopératives et d'autres formes de production associatives en les soutenant financièrement et techniquement et en créant parallèlement les conditions de leur viabilité économique par la mise en place des voies de transport et de commercialisation nécessaires.

La Ley de Tierras y Desarrollo Agrario a permis de lancer un processus de répartition plus équitable de la richesse agricole en régularisant le partage de la terre entre paysans par l'intermédiaire de l'Institut national des terres (Instituto Nacional de Tierras). Elle a redonné à la terre sa fonction sociale et valorisé son potentiel productif ; elle a stimulé la construction de centres de population ruraux dotés de services, donnant à leurs habitants accès à la santé, à l'éducation, à une vie digne.

Ce nouvel instrument légal, fondamental en ce qui concerne le processus de libération national initié au Venezuela pas la révolution bolivarienne, vise une harmonisation du développement agropastoral, la réduction et, à terme, l'élimination de la dépendance alimentaire, la conservation et la protection de l'environnement, l'équilibre écologique.

Cette Loi a renforcé l'organisation, la mobilisation et la participation du mouvement paysan et des populations rurales, qui représentent entre 12 et 15 % de la population du pays. Elle ouvre une contradiction fondamentale entre, d'une part, les intérêts du pays, son indépendance, sa souveraineté, ainsi que les droits et les aspirations légitimes des campagnes et, d'autre part, les intérêts mesquins des latifundistes et autres accapareurs de terre. Ce qui est en jeu est la récupération de la fonction sociale de la terre, la poursuite de la lutte pour l'égalité et la justice entreprise par Ezequiel Zamora, surnommé par ses successeurs " le Général du peuple souverain " (el General del Pueblo Soberano) et dont les consignes étaient : " Terre et hommes libres, respect du paysan et élimination des usurpateurs et nobliaux ".*

Cette Loi va de pair avec celle sur la pêche (Ley de Pesca y Acuacultura)**, entrée en vigueur conjointement, afin d'actualiser les politiques et législations étatiques dans ce domaine. Elle réglemente l'exploitation halieutique en protégeant le milieu naturel, en favorisant les pêcheurs artisanaux et en imposant des limites à la pêche industrielle (fixées à six mille marins des côtes maritimes et à dix mille des côtes insulaires), ce qui a pour effet de réduire au maximum les dommages à l'écosystème marin et de garantir aux petits pêcheurs des possibilités réelles de développement et de productivité.

La Loi sur la pêche stipule une protection sociale obligatoire pour les marins embarqués sur les barques de pêche, la reconnaissance des droits sociaux et du travail dans ce secteur où traditionnellement les travailleurs étaient surexploités et sans protection. Elle prévoit un ensemble d'amendes et de sanctions en cas d'infractions commises par les industriels et supprime la réelle impunité dont jouissaient auparavant ces derniers, lorsqu'ils pénétraient dans les zones de pêche réservées aux artisans, détruisaient leurs instruments de travail ainsi que les milieux marins, et n'avaient à payer que des amendes dérisoires. Elle permet de plus de briser les filières d'intermédiaires et de rabaisser le prix des produits marins pour les consommateurs.

Le mouvement paysan

Avant la tentative de coup d'Etat du 11 avril 2002, la vieille oligarchie du pays avait déjà entrepris de s'opposer à l'application de la Loi sur les terres en utilisant tous les moyens légaux et illégaux imaginables et en exerçant toutes les pressions possibles sur le gouvernement.

La remise des premiers titres de propriété s'accompagna des premiers attentats contre le mouvement paysan : Luis Mora, président du Bloc révolutionnaire de la région dénommée Sur del Lago, dirigeant et combattant de pointe de la cause paysanne qui travaillait à la mise en place des instruments de politique agraire régionaux, fut lâchement assassiné par des tueurs à gage le 10 janvier 2002, devant son fils de onze ans. Cet événement se produisit à peine quelque heures après un autre attentat, perpétré celui-ci à Macaraibo, contre José Huerta, à la fois ancien délégué de l'Institut agraire national (Instituto Agrario Nacional) et collaborateur du Ministère de l'agriculture, militant et dirigeant paysan et membre du Comité central du Parti communiste du Venezuela. D'autres leaders paysans ont également reçu des menaces de mort. Quant aux industriels de la pêche, ils avaient convoqué à une manifestation lors de laquelle ils avaient professé qu'on s'acheminait vers une pénurie de produits maritimes.

Tous ces efforts s'avérèrent vains. Le mouvement paysan continue à progresser en termes d'organisation, de formation et d'articulation à l'échelle nationale ; l'application des lois précitées se poursuit ; les mouvements populaires sont désormais traités en partenaires par le Ministère de l'agriculture et par l'Institut national des terres qui leur reconnaissent une voix décisionnelle dans la politique de développement agricole et de sécurité alimentaire.

Larges mobilisations paysannes face au coup d'Etat

Si quelques-uns signalent un certain désenchantement parmi les couches populaires, suite à une politique trop conciliante à leurs yeux du Président Chavez face à la bourgeoisie au cours des trois années précédant la tentative de coup d'Etat du 12 avril 2002, les reporters de la presse de gauche sont unanimes à souligner le rôle décisif joué par la campagne, aux côtés des ouvriers et des pauvres de la capitale, dans l'échec du golpe.

Andry McInerny, dans Mundo Obrero (New York) du 2 mai 2002, écrit que les 13 et 14 avril " des centaines de milliers de travailleurs et de paysans se sont dressés dans tout le pays pour faire échec au coup d'Etat ". " Des paysans de toutes les régions du Venezuela ", poursuit-il, " se sont massés dans des autocars en direction de Caracas pour protester contre cette tentative ".

Desde Abajo, périodique indépendant de la Colombie voisine, note également que " marchant vers la capitale, des milliers de paysans, bénéficiaires de la réforme agraire, se mobilisèrent spontanément " (10e année, No 67, mai 2002).

Perspectiva Mundial (New York, Vol. 26, No 5, mai 2002) insiste de même sur le " facteur décisif constitué par l'intervention des travailleurs et des paysans dans l'échec du coup d'Etat "...

Le mouvement paysan a joué, aux côtés d'autres secteurs sociaux, un rôle décisif dans les journées du 12, 13 et 14 avril 2002. Il poursuit la révolution bolivarienne en exerçant les pressions nécessaires pour débusquer ceux qui la sabotent et en trahissent les objectifs et se bat pour que les aigrefins qui tentent d'organiser des groupes paramilitaires, de terroriser le mouvement paysan et de contrecarrer le mouvement révolutionnaire, notamment dans la zone frontière avec la Colombie, soient poursuivis en justice et châtiés.

La coordination internationale des paysans vénézuéliens avec les autres mouvements paysans progressistes et révolutionnaires du monde (comme la Vía Campesina) est une nécessité impérieuse en cette période d'aiguisement des contradictions au Venezuela ; elle permettra au mouvement révolutionnaire bolivarien de mieux définir et délimiter ses objectifs et de renforcer son action face à l'ennemi intérieur qui, quoique affaibli, réagit de façon aussi désespérée qu'extrêmement dangereuse et qui peut compter sur l'appui économique et politique du principal centre de pouvoir dans le monde, l'impérialisme nord-américain.

Le processus révolutionnaire bolivarien a entamé une marche qui devrait l'amener à rendre au peuple ses droits et à satisfaire ses revendications bafouées par les " laquais de l'impérialisme ", selon l'expression consacrée. Parmi ces droits se trouvent en bonne place ceux pour lesquels lutte le mouvement paysan. Celui-ci se situe aux avant-postes du combat pour consolider et approfondir le processus révolutionnaire vénézuélien ; il est appelé à jouer un rôle de premier plan dans le renforcement et le développement des luttes populaires en Amérique latine et, plus généralement, du mouvement de luttes contre la mondialisation néolibérale.

POUR CONSULTER LE TEXTE DES LOIS MENTIONNÉES: www.pantin.net/leyes.htm (En espagnol). Contact pour cet article. CETIM cetim@bluewin.ch " Vía Campesina: une alternative paysanne à la mondialisation néolibérale. " Introduit par Rafael Alegria et Paul Nicholson. Postface de Jean Ziegler. Textes réunis par le CETIM en collaboration étroite avec Vía Campesina. CETIM - Centre Europe-Tiers Monde 6, rue Amat, CH-1202 Genève Tél.: (41) (22) 7315963 Fax: (41) (22) 7319152 www.cetim.ch

source : http://attac.org/indexfr/index.html

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