Globovisión ou l’incitation à l’insurrection

Par Salim Lamrani

La chaîne de télévision privée vénézuélienne Globovisión, opposée au gouvernement démocratique d’Hugo Chávez, est gravement impliquée dans une tentative de déstabilisation de la société. Profitant du non renouvellement de la concession de la chaîne RCTV le 27 mai 2007, Globovisión a lancé des appels implicites à l’insurrection qui ont débouché sur des actes de violence relativement graves dans les rues de Caracas. La chaîne, qui avait déjà activement participé au coup d’Etat du 11 avril 2002, incite désormais la population à la sédition1.

Les protestations étudiantes qui ont suivi l’affaire RCTV ont été promues par les présentateurs de Globvisión. Le journaliste du Canal 8, Ernesto Villegas, a souligné que les programmes de la chaîne incriminée n’ont pas constitué « une couverture » des évènements mais « une convocation » à manifester. Globovisión a en effet fermement condamné la décision, pourtant légale et légitime, prise par les autorités vénézuéliennes et l’a présentée comme étant une violation de la liberté d’expression2.

Plus grave encore, Globovisión s’est rendue coupable d’incitation à l’assassinat du président Chávez en manipulant des images et en lançant des messages subliminaux. Lors de la diffusion du programme Aló, Ciudadano, où une interview de Marcel Granier, directeur de RCTV, était diffusée, la chaîne a montré simultanément les images de l’attentat contre le Pape Jean-Paul II survenu en mai 1981. Le fond musical qui accompagnait ces images était une chanson de Ruben Blades intitulé « Ce n’est pas fini » (« Esto no termina aquí »)3.

Le ministre de la Communication et de l’information, William Lara, a immédiatement condamné cette conspiration. « Cette chaîne de télévision, dans ce fragment spécifique de son programme, s’est rendue coupable du délit d’incitation à l’assassinat, en la personne du chef d’Etat vénézuélien », a-t-il dénoncé. Pour lui, l’objectif était clair. En effet, Globovisión n’a pas su expliquer pourquoi elle avait diffusé des images de l’attentat dans un programme traitant du non renouvellement de la concession de RCTV4. Plusieurs experts en sémiotique ont été catégoriques à ce sujet : « On incite à l’assassinat du Président5 ».

Les journalistes de Globovisión ainsi que les présentateurs de la chaîne ont également multiplié les expressions diffamatrices à l’égard du gouvernement en utilisant les termes « dictature » et « tyrannie », afin de justifier les appels à la désobéissance civile et les actes de violence. Le cas RCTV est selon eux une preuve du « totalitarisme et des pratiques dictatoriales » de Chávez. Ces expressions ont été inlassablement réitérées6.

Manipulation médiatique

William Lara a également fustigé la chaîne étasunienne CNN qui avait manipulé la réalité qui faisait croire aux téléspectateurs qu’elle couvrait les manifestations d’étudiants au Venezuela, mais qui utilisait en réalité des images d’une manifestation survenue à Acapulco au Mexique suite à l’assassinat d’un journaliste. « La violation de l’éthique journalistique et le mensonge ouvert ont atteint un extrême », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il était inacceptable de « légitimer le mensonge pour faire de la propagande contre un pays7 ».

Le 28 mai 2007, le ministre Lara a porté plainte contre Globovisión et la CNN. En effet, ces deux chaînes avaient montré sur le même écran Hugo Chávez et un supposé leader d’Al Qaeda, dans le but évident d’associer le président vénézuélien au terrorisme et à la violence. Ces mêmes images ont été diffusées par CNN en Español et démontrent qu’il s’agissait d’une campagne minutieusement préparée afin de délégitimer le locataire du Palais Miraflores aux yeux de l’opinion publique internationale. En effet, pourquoi montrer sur le même écran l’image d’un supposé terroriste et celle d’un président démocratiquement élu, si ce n’est pour assouvir des intentions malveillantes8 ?

Le ministre Lara, répondant aux attaques de Globovisión, a rappelé que durant les huit années de présidence de Chávez, les deux seuls cas de fermeture de médias avaient été le fait de l’opposition lors du sanglant coup d’Etat de 2002. En effet, suite à la rupture de l’ordre constitutionnel orchestrée par le dictateur Pedro Carmona, l’ancien gouverneur de l’Etat Miranda, Enrique Cardoso et Alfredo Peña, alors maire de Caracas –tous deux impliqués dans le renversement du président – avaient respectivement ordonné l’interruption de la chaîne publique Venezolana de Televisión et de la chaîne communautaire Catia TV. Pour ce qui est de RCTV, Lara a souligné qu’il s’agissait de la fin d’une concession et non d’un cas de fermeture, ajoutant que la chaîne pouvait continuer à émettre via le câble ou le satellite9.

Le gouverneur de l’Etat de Zulia, Manuel Rosales, ancien candidat à la présidence de la République, qui a été largement battu par Chávez en décembre 2006, a également lancé des appels à la rébellion. Il s’est réjoui de la couverture médiatique réalisée par Globovisión. Il a condamné la création de médias communautaires et alternatifs qui représentent une sérieuse menace contre le monopole médiatique détenu par l’oligarchie du pays. Il a également stigmatisé les « eunuques » de l’Assemblée nationale, en référence aux parlementaires. La position de Rosales n’est guère surprenante. En effet, ce dernier avait participé au coup d’Etat de 2002, en signant le décret qui nommait le putschiste Pedro Carmona nouveau Président de la République10.

Réaction populaire

Le président Chávez s’est adressé à la nation, la mettant en garde contre cette nouvelle tentative de déstabilisation de la part d’une opposition qui refuse d’admettre qu’elle a perdu le contrôle politique du pays, rejetant le suffrage populaire et démocratique. Il a dénoncé les violences survenues devant le siège de la Commission nationale des télécommunications (Conatel). « La seule chose qu’ils recherchent, c’est de faire des morts », a-t-il averti11. Il a également lancé un appel aux étudiants les invitant à ne pas se laisser abuser par la manipulation médiatique12.

L’avertissement de Chávez a eu un impact retentissant. Le 2 juin 2007, une immense manifestation de soutien au gouvernement a eu lieu des les rues de Caracas. A cette occasion, le président a affirmé que « chaque plan déstabilisateur de l’oligarchie vénézuélienne […] sera suivi par une nouvelle offensive révolutionnaire ». Il a appelé le peuple à « investir les rues » afin de dénoncer les manigances antidémocratiques de l’opposition. Faisant clairement référence aux Etats-Unis, il a annoncé que le Venezuela n’accepterait aucune ingérence dans ses affaires internes. Il a également salué la naissance de la nouvelle chaîne publique TVes, « libérée de l’oligarchie ». Les médias ont été mis face à leurs responsabilités : tout délit de leur part sera sanctionné par la loi13.

L’ancien vice-président, José Vicente Rangel, a salué la marche populaire comme étant « la réponse à la politique déstabilisatrice, putschiste et terroriste » de l’opposition. « Il n’y a pas de pays au monde où il y a plus de liberté d’expression. Ici, on insulte, on agresse, on conspire, on diffame le gouvernement et le président Hugo Chávez et il ne se passe absolument rien », remarquait-il14.

Les manigances de Reporters sans frontières

L’organisation française Reporters sans frontières (RSF) est partie prenante de cette manipulation médiatique internationale autour du cas RCTV. Elle continue de parler de « fermeture » de la chaîne alors qu’il s’agit simplement d’un non renouvellement de concession. RSF a également pris la défense de Globovisión et a même accusé le gouvernement de s’attaquer à « la seule chaîne privée d’opposition », oubliant sans doute que Televen et Venevisión sont également des chaînes privées d’opposition parmi tant d’autres. Mais l’entité dirigée par Robert Ménard n’en est pas à un mensonge près15.

« Hugo Chávez fait preuve de paranoïa et d’intolérance », assène RSF, qui récuse l’existence d’un plan de déstabilisation orchestrée par Globovisión. L’hypocrisie de Ménard dépasse toutes les limites. Quelle nation de la planète accepterait que l’on lance des appels à la révolte au nom de la « liberté d’expression » ? En France, comme dans n’importe quel pays du monde, Globovisión aurait déjà cessé d’émettre et ses dirigeants seraient entre les mains de la justice. RSF voudrait-elle faire croire que si la chaîne privée TF1 lançait des appels à l’insurrection, comparait le président français Nicolas Sarkozy à un terroriste d’Al Qaeda, diffusait des messages subliminaux appelant à l’assassinat du locataire du Palais de l’Elysée, elle s’en tirerait sans aucun dommage16 ?

Pour RSF, le non renouvellement de la concession de RCTV « est une grave atteinte à la liberté d’expression » et elle a lancé un appel à « la communauté internationale » qui est resté sans réponse17. José Miguel Insulza, secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA) a rejeté la demande de Washington et a refusé d’étudier le cas RCTV lors de la 37ème réunion de l’organisme qui s’est déroulée du 3 au 5 juin 2007 à Panama18. L’oligarchie vénézuélienne et les Etats-Unis, amplement soutenus par la presse mondiale, tentent de transformer une décision ordinaire en une atteinte au pluralisme. RSF, financée par les Etats-Unis, défend bien évidemment les intérêts de ses généreux mécènes. Quant à Globovisión qui viole les principes les plus élémentaires de l’éthique journalistique, il ne faudra pas qu’elle s’étonne si elle subit les rigueurs de la loi vénézuélienne.

Notes

1 Agencia Bolivaria de Noticias, « Periodistas coinciden en que Globovisión es promotor de protestas de oposición », 29 mai 2007.

2 Ibid.

3 Agencia Bolivaria de Noticias, « Ministro Lara denunció que medios de oposición incitan a magnicidio », 27 mai 2007.

4 Ibid.

5 Agencia Bolivaria de Noticias, « CNN miente sobre Venezuela y Globovisión incita al magnicidio », 28 mai 2007.

6 Agencia Bolivaria de Noticias, « Globovisión continúa con la instigación a la desestabilización », 29 mai 2007.

7 Agencia Bolivaria de Noticias, « Ministro Lara denunció que medios de oposición incitan a magnicidio », op. cit.

8 Agencia Bolivaria de Noticias, « CNN miente sobre Venezuela y Globovisión incita al magnicidio », op. cit.

9 Agencia Bolivaria de Noticias, « Oposición es la única que ha cerrado medios de comunicación en Venezuela », 27 mai 2007.

10 Agencia Bolivaria de Noticias, « Rosales afianza propuestas de sectores más violentos del país », 30 mai 2007.

11 Agencia Bolivaria de Noticias, « Chávez llamó al pueblo a estar alerta ante plan desestabilizador », 29 mai 2007.

12 Agencia Bolivaria de Noticias, « Chávez instó a universitarios a tomar conciencia sobre manipulación mediática », 2 juin 2007.

13 Agencia Bolivaria de Noticias, « Pueblo y Gobierno responderán juntos a planes desestabilizadores », 2 juin 2007.

14 Agencia Bolivaria de Noticias, « Golpistas están derrotados porque el pueblo salió a la calle », 2 juin 2007.

15 Reporters sans frontières, « Après la fermeture de RCTV, Hugo Chávez s’attaque à Globovisión, seule chaîne privée d’opposition », 31 mai 2007. http://www.rsf.org/article.php3?id_article=22363 (site consulté le 2 juin 2007).

16 Ibid.

17 Reporters sans frontières, « Reporters sans frontières appelle à la mobilisation internationale après la fermeture de RCTV », 28 mai 2007. http://www.rsf.org/article.php3?id_article=22323 (site consulté le 2 juin 2007).

18 Agencia Bolivaria de Noticias, « Insulza descartó que caso RCTV sea abordado en asamblea de la OEA », 2 juin 2007.

Salim Lamrani est enseignant, écrivain et journaliste français, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il a notamment publié Washington contre Cuba (Pantin : Le Temps des Cerises, 2005), Cuba face à l’Empire (Genève : Timeli, 2006) et Fidel Castro, Cuba et les Etats-Unis (Pantin : Le Temps des Cerises, 2006).

Le défi du « socialisme du XXIe siècle »

Il existe une tension au cœur de la révolution bolivarienne du Venezuela. Bien que présente depuis plusieurs années, elle n’est apparue sur le devant de la scène qu’au cours des derniers mois, depuis la réélection présidentielle d’Hugo Chavez en décembre 2006, son annonce des « cinq moteurs » [1] pour propulser le pays vers le « socialisme du XXIe siècle », et son appel pour un nouveau parti, le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV), afin d’organiser cette transition. C’est la tension entre les réalisations anti-néolibérales et anti-impérialistes de la révolution - qui sont indéniables - et sa promesse socialiste - qui n’est précisément encore rien d’autre qu’une promesse.

par Stuart Pipper

C’est bien sûr la profondeur des réformes structurelles du Venezuela - sa rupture souvent bruyante mais non moins réelle avec les priorités marchandes du Consensus de Washington - qui a fait du processus une référence pour le mouvement altermondialiste et la gauche internationale. C’est d’abord cette attitude anti-néolibérale consistante qui a motivé le bon accueil fait à Hugo Chavez au Forum social mondial de Porto Alegre en 2005, avant même qu’il ne prenne le moindre engagement en faveur du socialisme.

Cet impact a de loin dépassé l’Amérique latine et les cercles de solidarité traditionnels d’Europe et d’Amérique du Nord. Deux exemples emblématiques : le premier vient d’Indonésie, où le nouveau parti de gauche PAPERNAS fait référence de manière répétée à l’exemple vénézuélien pour expliquer et justifier sa plate-forme pour le rétablissement de la souveraineté nationale sur les ressources naturelles et le développement économique du pays. Le second vient d’Egypte, où il est coutume dans le bazar du Caire de donner aux dattes en vente le nom de personnages publics, en fonction de la qualité de chaque lot de ces fruits secs. A la suite de la guerre au Liban de l’année dernière, il n’était pas rare que les variétés les plus amères portent les noms « Bush », « Blair » et « Olmert ». Ni que les dattes, les plus fines, les plus douces, soient appelées « Nasrallah », du nom du leader du Hezbollah. Mais, parmi les autres variétés savoureuses, quelques places plus bas, il en était une nommée « Chavez ». Le dirigeant vénézuélien a en effet retiré son ambassadeur d’Israël, en protestation contre l’agression.

Tout ceci illustre simplement le retentissement extraordinaire que l’opposition tenace du Venezuela à l’Empire a eu auprès de dizaines de millions de ce que Frantz Fanon avait appelés jadis « les damnés de la terre » - un retentissement sans pareil au cours des vingt dernières années, devenu perceptible après la défaite du coup d’État anti-Chavez de 2002 et le développement, à partir de 2003, des « missions » de santé et d’alphabétisation.

Le retour des questions stratégique

Mais, plus récemment, quelque chose d’autre a émergé pour donner au processus vénézuélien un impact plus grand, plus profond encore. Cela a commencé en 2005 avec l’invitation de Chavez à discuter du « socialisme du XXIe siècle », une discussion qui se poursuit avec plus d’intensité que jamais depuis son engagement en décembre 2006 à en faire le principal défi pour le Venezuela dans la période à venir. C’est naturellement d’une importance décisive pour la lutte au Venezuela. Mais cela transforme aussi son potentiel international.

D’abord, pour tous ceux d’entre nous qui militent dans des pays où le mot « socialisme » a disparu du vocabulaire politique de la plupart des gens au cours des 17 dernières années, voire plus, il est soudainement redevenu possible de parler de socialisme sans donner l’impression de débarquer d’une autre galaxie. Plus encore, le Venezuela est le premier laboratoire grandeur nature - au moins depuis le Nicaragua dans les années 80 - à expérimenter ce à quoi la démocratie socialiste pourrait réellement ressembler au XXIe siècle, et quelles stratégies sont valables pour y parvenir. Certaines de ces questions stratégiques se sont mises à réapparaître sous la forme théorique au cours des dernières années. A titre d’exemple, il y eut un débat important dans les pages de Critique communiste, de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) française, impliquant Daniel Bensaid, Antoine Artous, Alex Callinicos et d’autres. Parmi les questions centrales : dans les conditions actuelles, une révolution socialiste et la construction d’un nouveau type d’État impliquent-elles nécessairement un moment crucial, explosif, où l’ancien appareil d’État s’effondre, une sorte de « prise du palais d’Hiver », résultant d’une grève générale insurrectionnelle ou peut-être d’une lutte militaire prolongée ? Ou est-il possible d’envisager l’émergence de nouvelles structures étatiques, défendant de nouveaux intérêts de classe, à côté ou même à l’intérieur de l’ancien État défendant les intérêts de l’ancienne classe dominante ?

C’est probablement la question la plus décisive qui se pose au mouvement bolivarien. Au risque de simplifier abusivement, le processus politique au Venezuela peut être décrit comme une révolution nationaliste, anti-néolibérale et anti-impérialiste, au sein de laquelle une révolution socialiste lutte pour émerger. Et, paradoxalement, les deux aspects se cristallisent dans la personne de Chavez. La révolution socialiste lutte pour émerger car le processus s’est d’abord développé à partir d’une victoire électorale conventionnelle (démocratique bourgeoise) en 1998, avec l’appui d’une assez large coalition interclassiste et qui, au moins jusqu’au coup d’État avorté d’avril 2002, a fait peu pour dépasser le cadre institutionnel. La Constitution bolivarienne de 2000 a certes révisé ces institutions et comprenait nombre de passages radicaux sur la participation populaire et la centralité des besoins et du potentiel humains, mais elle n’a pas remis en cause les principes de base (de la démocratie représentative, ou des relations de propriété privée). Jusqu’à un certain point, elle a enraciné l’alliance de classes qui l’avait portée.

Depuis l’insurrection contre le coup d’État de 2002, et spécialement depuis la lutte contre le lock-out patronal à la fin de cette année-là, les mobilisations populaires, les missions, les comités de terres urbaines, diverses expériences sporadiques ou partielles de contrôle ouvrier, quelques-unes des coopératives rurales et urbaines et, plus récemment, les conseils communaux émergeants, ont commencé à dépasser l’ancien cadre de l’Etat bourgeois, jusqu’à le « défier ». Mais les leviers centraux du pouvoir au Venezuela - en ce compris le bureau de la présidence - demeurent institutionnellement localisés, même « piégés », au sein des anciennes structures administratives. Le problème pour le mouvement bolivarien - et peut-être pour la plupart des situations révolutionnaires potentielles dans le monde d’aujourd’hui - est de savoir contourner l’appareil existant, tout en étant parvenu au pouvoir à travers lui (c’est-à-dire par une élection). Dans le cas vénézuélien, ce problème est lié à un autre : comment le mouvement peut-il développer une véritable direction collective et se libérer de la pesante tutelle d’un « caudillo » révolutionnaire, aussi intègre et capable soit-il, comme Chavez lui-même semble en reconnaître la nécessité ?

Cogestion ouvrière et démocratie communale

Deux des développements les plus récents au Venezuela, ainsi qu’un plus ancien, semblent indiquer une possible solution. Le plus ancien est l’expérience de cogestion avec contrôle ouvrier développée dans quelques entreprises depuis début 2005, dont la plus notable est la fabrique d’aluminium ALCASA de Ciudad Guayana [2]. Cette expérience reste très limitée dans sa diffusion, inégale dans son application, et des signes inquiétants laissent à penser qu’elle serait tombée en disgrâce auprès des dirigeants. Chavez n’en a presque pas fait mention dans ses discours d’ouverture de décembre et de janvier ébauchant les priorités pour la nouvelle période de la révolution. Mais elle demeure jusqu’à présent l’exemple le plus ambitieux et inspirant d’une alternative radicale à l’ancien système. Les deux développements les plus récents sont l’appel pour la construction du PSUV, « le parti le plus démocratique que le Venezuela ait jamais connu », et l’« explosion révolutionnaire de pouvoir communal » désignée par Chavez comme le cinquième et plus important moteur de la transition du Venezuela vers le « socialisme du XXIe siècle ».

Tout ceci semble confirmer une vieille vérité : la solution ne peut être que la démocratie - l’extension radicale de la démocratie dans toutes les sphères de la vie sociale - car c’est, en dernière analyse, l’essence même du socialisme. La « propriété collective » des moyens de production est inutile si elle n’implique pas une extension du contrôle démocratique sur l’économie.

Voici comment le président Chavez a décrit le défi du pouvoir communal, le 8 janvier, lors de la prestation de serment de son nouveau gouvernement :

« Cette année, avec les conseils communaux, nous devons dépasser l’échelon local. Nous devons commencer à créer, d’abord par loi, une sorte de confédération régionale, locale et nationale de conseils communaux. Nous devons avancer vers la création d’un État communal. Et l’ancien État bourgeois, toujours là, encore vivant, nous avons à le démanteler pièce par pièce, au fur et à mesure de la construction de l’État communal, de l’État socialiste, de l’État bolivarien - un État capable de mener à bien une révolution. Presque tous les Etats sont nés pour empêcher les révolutions. Notre tâche est de convertir un État contre-révolutionnaire en État révolutionnaire. »

C’est évidemment une vision ambitieuse ! Le révolutionnaire vénézuélien et ancien ministre Roland Denis - souvent un critique de gauche de Chavez - a certainement raison lorsqu’il voit dans les conseils communaux - destinés à rassembler de 200 à 400 familles pour débattre et décider des dépenses locales et des plans de développement - une opportunité historique pour se défaire de l’État bourgeois. En théorie, il en existe déjà 18 000, et il devrait en exister 30 000. En pratique, la plupart ont encore à s’organiser et à fonctionner.

Problèmes

Mais la conception actuelle des conseils communaux pose deux problèmes. Le premier est qu’ils ne sont pas entièrement autonomes. Ils ont été créés et sont réglés par une loi rédigée et adoptée par l’« ancien État », même si c’est un ancien État peuplé de chavistes. Cela diffère significativement du Budget Participatif (BP) de Porto Alegre ou d’autres de ses manifestations plus radicales dans d’autres villes du Brésil, qui ont influencé l’initiative vénézuélienne à un degré considérable. Le BP y a été établi « informellement » par une convergence des mouvements sociaux des quartiers pauvres et du parti local au pouvoir, le Parti des Travailleurs (PT), profitant d’une faille dans la constitution brésilienne de 1988. Un de ses principes fondamentaux est l’autonomie et l’autorégulation. Il n’y a jamais eu la moindre législation sur le BP : il a écrit ses propres règles et peut les modifier à volonté, et ni les représentants du gouvernement local, ni ceux du parti n’ont de prise directe sur lui.

Le second problème est que les conseils communaux n’ont pas de pouvoir de décision souverain sur l’entièreté des budgets locaux. En fait, les sommes débattues et allouées par les conseils communaux du Venezuela proviennent de versement directement alloués par la Commission présidentielle pour le pouvoir communal - un total de 1,6 milliards de dollars l’année dernière et autour du double cette année. Ils ne contrôlent pas les budgets publics existants et leurs relations avec les ressources et les structures administratives sous le contrôle des assemblées locales, maires et gouverneurs élus demeurent floues. Vont-ils commencer à les absorber et les supplanter ou exister parallèlement à eux ?

Ces deux problèmes sont partiellement le résultat d’un autre : en dépit de l’explosion de toutes sortes de mobilisations sociales au cours de ces dernières années, le Venezuela n’a jamais eu une tradition de mouvements sociaux fortement organisés, ni de parti révolutionnaire de masse, ni même de parti de classe, capable d’organiser de telles initiatives. Le « phénomène Chavez » joue en partie un rôle de substitut.

Voila pourquoi l’appel à construire le PSUV est potentiellement un pas si important. Cela pourrait tout simplement être la meilleure façon de surmonter la dépendance à un seul leader central. Mais à la seule condition que ce soit un parti fondamentalement ouvert et démocratique, et pas un instrument monolithique destiné uniquement à relayer des décisions déjà prises. C’est un défi d’envergure pour les nombreux petits courants et partis qui s’identifient déjà comme marxistes ou socialistes. Le plus important d’entre eux à être issu d’une tradition explicitement marxiste révolutionnaire - le Parti Révolution et Socialisme (PRS) regroupant notamment les principaux leaders de la fédération syndicale Unión Nacional de Trabajadores (UNT) actuellement divisée - vient de se scinder sur la question, certains de ses leaders les plus connus rejoignant le projet du PSUV, tandis que les autres ont décidé de rester en dehors. Notre opinion est que les premiers ont absolument raison d’arguer que cette opportunité ne doit pas être manquée et que c’est justement parce qu’il existe un réel danger que le projet soit détourné par de vieux éléments bureaucratiques que les révolutionnaires doivent combattre pour s’assurer que le PSUV soit pleinement démocratique et n’accueille pas de représentants de la classe capitaliste vénézuélienne ou de la nouvelle bureaucratie qui mine la révolution bolivarienne de l’intérieur. C’est fort semblable au combat mené par les camarades de la section brésilienne de la IVe Internationale [le courant Démocratie socialiste, troskyste, ndlr] dans les années 80 pour faire du PT un « parti sans chefs » avec un maximum de démocratie interne, de pleins droits de tendance, la représentation proportionnelle des minorités à la direction, un quota de 30% de femmes, etc. - un combat qui fut largement victorieux et qui a contribué à faire du PT la référence qu’il fut pour la gauche internationale pendant une décennie au moins.

Trois enjeux

Pour résumer, trois enjeux immédiats et un enjeu à moyen terme semblent se présenter au processus révolutionnaire vénézuélien :

— Le nouveau parti pourra-t-il devenir un véritable parti révolutionnaire de masse - ce qui implique un espace profondément pluraliste et démocratique pour organiser et coordonner l’activité de tous les secteurs et courants de la classe ouvrière (au sens le plus large) et d’autres secteurs opprimés de la société vénézuélienne ?

— Les expériences exemplaires de cogestion ouvrière avec contrôle ouvrier parviendront-elles à s’étendre dans des sections beaucoup plus larges des secteurs public et privé ? Réussiront-elles à faire le lien avec les conseils communaux et d’autres formes de pouvoir populaire territorial, et à les impliquer dans le contrôle démocratique des lieux de travail et, plus largement, de l’économie ?

— Les nouveaux conseils communaux pourront-ils devenir de véritables centres de pouvoir populaire, disposant d’un pouvoir de décision souverain sur tous les aspects des budgets et plans de développements locaux et nationaux ? Et tous ces organes parviendront-ils à s’unir au plan national pour construire un nouveau type d’État qui défende les intérêts populaires ?

En d’autres mots, les défis immédiats sont d’ordre démocratique. Ils s’orientent vers une extension radicale de la démocratie participative dans chaque coin et recoin de l’édifice social, bien au-delà de la sphère politique traditionnelle. Et c’est bien sûr ce qu’a toujours été le projet socialiste - avant, pendant, et après le XXIe siècle - : un approfondissement sans précédent des droits démocratiques. Sous cet angle, la question des nationalisations et de l’expropriation du capital privé devient une conséquence naturelle, plutôt qu’une condition préalable. Dès que le capital cesse d’être contrôlé par les capitalistes et qu’il est soumis aux décisions démocratiques des travailleurs et de la communauté, aux niveaux local et national, il cesse aussitôt d’être un capital privé et commence à obéir à une toute autre logique - celle des besoins et du potentiel humains et - tout aussi urgemment - de la survie de l’environnement. Et le parcours entre ces deux points fait aussi partie des sujets dont la théorie de la révolution permanente a entamé l’analyse, il y a près d’un siècle.

NOTES:

[1] [NDLR] 1er moteur : la loi hablitante, voie directe au socialisme ; 2e moteur : la réforme constitutionnelle : état de droit socialiste ; 3e moteur : morale et lumières, éducation basée sur des valeurs socialistes ; 4e moteur : la nouvelle géométrie du pouvoir, la réorganisation socialiste de la nouvelle géopolitique de la nation ; 5e moteur : explosion du pouvoir communal, démocratie « protagonique », révolutionnaire et socialiste.

[2] [NDLR] Lire Fabrice Thomas, Expérience de « cogestion » dans la fabrique d’aluminium Alcasa, Inprecor, n°510, octobre 2005.

lire cet article en anglais

URL: http://risal.collectifs.net/

RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine

Source : International Viewpoint (http://www.internationalviewpoint.org/), n°389, mai 2007.

Traduction : Matthieu Renda, pour le site Web de la Ligue Communiste Révolutionnaire - Belgique (ex-Parti Ouvier Socialiste). Traduction revue par l’équipe du RISAL.

Reporters sans frontières et RCTV: Désinformation et mensonges

par Salim Lamrani (Salim Lamrani est enseignant, écrivain et journaliste français, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis)


Le non renouvellement de la concession d’une durée de 20 ans de la chaîne privée vénézuelienne RCTV, arrivée à son terme le 27 mai 2007, a suscité une extraordinaire hystérie médiatique au niveau international. Pendant plusieurs semaines, la presse du monde entier s’est focalisée sur un évènement banal qui d’ailleurs passe inaperçu quand il survient dans les autres pays de la planète. Elle a transformé une décision administrative tout à fait régulière et légitime en un attentat contre la liberté de la presse. Reporters sans frontières a évidemment participé à cette campagne internationale de désinformation en publiant, le 5 juin 2007, un rapport hautement tendancieux sur RCTV1.

Fermeture de RCTV et hégémonie médiatique ?

RSF intitule son dossier « Fermeture de Radio Caracas Television : la consolidation d’une hégémonie médiatique ». L’organisation donne d’emblée le ton en distillant deux mensonges en une seule phrase. Tout d’abord, RCTV n’a pas été fermée et peut continuer d’émettre via le câble ou le satellite. Le spectre radioélectrique étant par définition limité, le gouvernement vénézuelien a décidé de ne pas renouveler le contrat à la chaîne et d’accorder ainsi l’espace libéré à une autre chaîne afin de démocratiser les médias. Donc, contrairement à ce qu’affirme RSF, RCTV ne « cesse [pas] d’émettre2 ».

La seconde contre-vérité réside dans l’expression « hégémonie médiatique ». Avec ce titre, RSF voudrait faire croire au lecteur que les autorités vénézueliennes contrôlent les médias et disposent quasiment d’un monopole dans ce secteur. Pour convaincre l’opinion publique, Robert Ménard, le secrétaire général de l’organisation, répète inlassablement la même maxime à la presse : « Chávez détient une position hégémonique sur les moyens de communication3 ». Or, la réalité est tout autre. Au Venezuela, 80% des chaînes de télévision ouverte et des radios appartiennent au secteur privé. Pour ce qui est de la télévision par câble et par satellite, qui est relativement bien développée dans le pays, elle est presque entièrement contrôlée par des fonds privés. Au niveau de la presse écrite, les 118 journaux nationaux et régionaux qui circulent dans le pays sont également contrôlés par le secteur privé. Il existe effectivement une « hégémonie médiatique », mais elle est entièrement le fait des groupes économiques et financiers privés4.

Décision arbitraire du Président Hugo Chávez ?

RSF certifie que la décision a été prise « sur ordre du président Hugo Chávez », et assure qu’elle est illégale car, selon elle, il faut une « condamnation judiciaire […] pour refuser à la chaîne le droit d’émettre pendant les vingt prochaines années ». Là encore, RSF a recours à un double mensonge. En effet, la décision est parfaitement légale, respectueuse des normes internationales et légitime. Comme dans la plupart des pays du monde, le spectre des ondes hertziennes appartient l’Etat et est destiné à promouvoir l’intérêt public. De plus, l’article 156 de la Constitution vénézuelienne ainsi que l’article 108 de la Loi organique des télécommunications donnent au gouvernement le pouvoir de réguler l’accès à cet espace. Il n’est aucunement question de « condamnation judiciaire » comme le prétend RSF. Enfin, RCTV a toujours le « droit d’émettre » via câble ou satellite5.

D’ailleurs, ce n’est pas Hugo Chávez qui a décidé du non renouvellement de la concession mais la Commission nationale des télécommunications du Venezuela. La concession de RCTV n’a pas été renouvelée pour plusieurs raisons bien précises. Tout d’abord, le gouvernement souhaite procéder à un rééquilibrage entre chaînes publiques et chaînes privées. Ensuite, RCTV n’a pas respecté ses obligations et son cahier des charges. Un seul exemple édifiant : entre juin et décembre 2006, les autorités ont recensé pas moins de 652 infractions de la part de RCTV. La chaîne a également dénigré de manière systématique la politique du gouvernement et a incité à plusieurs reprises la population à la violence et à la rupture de l’ordre constitutionnel. La participation avérée de RCTV dans le coup d’Etat du 11 avril 2002 ainsi que son comportement putschiste ont été des facteurs non négligeables dans la prise de décision. RCTV avait notamment participé au sabotage pétrolier de décembre 2002 qui avait coûté près de 20 milliards de dollars à l’économie nationale6.

RSF affirme à ce sujet que RCTV est simplement « accusée » d’avoir participé au coup d’Etat, alors que les preuves et les témoignages sont accablants. Le très conservateur journal français Le Figaro rappelle que « pendant des années, la chaîne a ouvertement conspiré contre le président en place en relayant des appels à renverser le régime ». Le Figaro souligne également que lors du coup d’Etat, la chaîne « annonçait qu’Hugo Chávez avait démissionné », suivant ainsi le plan établi les putschistes, et avait même reconnu Pedro Carmona comme président intérimaire7.

Suite au retour du président Chávez, RCTV avait interdit à ses journalistes de diffuser une quelconque information à ce sujet et se bornait à diffuser des dessins animés. Le responsable de production de la chaîne, Andrés Izarra, opposé au putsch, avait aussitôt démissionné pour ne pas se rendre complice du coup de force. Lors d’un témoignage à l’Assemblée nationale, Izarra avait indiqué que le jour du coup d’Etat et les jours suivants il avait reçu l’ordre formel de Marcel Granier, le président de RCTV, de « ne transmettre aucune information sur Chávez, ses partisans, ses ministres ou n’importe quelle autre personne qui pourrait être en relation avec lui8 ».

Le conservateur Los Angeles Times retrace également l’itinéraire de RCTV depuis l’élection de Hugo Chávez à la présidence de la République en 1998 et souligne qu’elle s’était donnée pour mission de « renverser le président démocratiquement élu ». Après le coup d’Etat, « RCTV a basculé ouvertement dans la sédition [et a] diffusé des images truquées pour faire croire que les partisans de Chávez étaient à l’origine des morts et des blessés ». Le journal rappelle que Marcel Granier s’était rendu au Palais présidentiel pour faire allégeance au « dictateur Pedro Carmona qui venait d’abolir la Cour suprême, l’Assemblée nationale et la Constitution ». Puis le LA Times conclut : « Granier et les autres ne doivent pas être considérés comme des martyrs de la liberté d’expression » mais comme des putschistes9. D’ailleurs, Granier a fait une déclaration éloquente à RSF au sujet du coup d’Etat : « Je veux bien admettre que je n’étais pas mécontent de voir partir Hugo Chávez10 ». Comment pouvait-il être « mécontent » puisqu’il avait activement participé à son renversement ?

A l’évidence, en soutenant et en participant ouvertement à la rupture de l’ordre constitutionnel en avril 2002, RCTV ne se souciait pas de l’intérêt public. De plus, il n’est guère nécessaire de rappeler que si une chaîne de télévision française ou de n’importe quel autre pays du monde s’avisait d’adopter un comportement similaire à celui de RCTV, elle ne durerait pas 24 heures et ses dirigeants se retrouveraient immédiatement en prison. Pour sa part, le journal étasunien Houston Chronicle notait que « les actions de RCTV n’auraient pas duré plus de quelques minutes » aux Etats-Unis11.

Pourquoi RSF veut-elle faire croire à l’opinion publique que la culpabilité de RCTV est encore sujette à discussion ? Tout simplement parce que Robert Ménard et son organisation avaient eux-mêmes soutenu le coup d’Etat d’avril 2002. Est-il besoin de rappeler la déclaration publiée par RSF le 12 avril 2002 ? :

« Reclus dans le palais présidentiel, Hugo Chávez a signé sa démission dans la nuit, sous la pression de l’armée. Il a ensuite été conduit au fort de Tiuna, la principale base militaire de Caracas, où il est détenu. Immédiatement après, Pedro Carmona, le président de Fedecámaras, a annoncé qu’il dirigerait un nouveau gouvernement de transition. Il a affirmé que son nom faisait l’objet d’un "consensus" de la société civile vénézuélienne et du commandement des forces armées12 ».

Décision impopulaire ?

L’entité parisienne déclare également que les « opposants (nombreux) et partisans (plus rares) » avaient simultanément défilé à Caracas pour appuyer la décision du gouvernement ou la répudier. Ici, RSF n’hésite aucunement à mentir de manière éhontée. Les manifestations d’opposants qui ont eu lieu en signe de protestation n’ont réuni que quelques milliers de personnes. Par contre, les manifestations de soutien qui se sont déroulées dans la capitale à l’image de celles du 27 mai et du 2 juin 2007 ont été impressionnantes. En effet, des centaines de milliers de citoyens avaient défilé dans les rues de Caracas, montrant leur soutien à Hugo Chávez13. Dans quel but RSF manipule-t-elle cette réalité ?

RSF reprend également les sondages réalisés par RCTV et l’opposition pour démontrer l’impopularité de la décision, en leur accordant un crédit entier et adoptant ainsi une position ouvertement partisane. Le ministre de l’Intérieur et de la Justice, Pedro Carreño, a répondu de manière cinglante à cette allégation : « la liberté d’expression n’est pas celle de l’empire, ni celle de Reporters sans frontières, ni celle de la Société interaméricaine de presse (SIP), ni celle de l’oligarchie, mais celle du peuple qui aujourd’hui est sorti dans la rue14 ».

RSF évoque « une fermeture désavouée par l’opinion et la communauté internationale » et cite pêle-mêle une résolution du Parlement européen adoptée le 24 mai 2007, et « plusieurs gouvernements ou Parlements latino-américains, du Brésil au Mexique en passant par le Chili, et même de son homologue et allié bolivien Evo Morales ». RSF veut donner l’impression d’une unanimité mondiale contre Hugo Chávez alors que la réalité est totalement différente. De tout le continent américain, c’est-à-dire sur près de 25 nations, seuls trois organes parlementaires (Brésil, Chili, Nicaragua) se sont prononcés contre le non renouvellement de la concession et seul le président costaricien Oscar Arias a émis une déclaration défavorable. Le reste du continent, en commençant par Evo Morales, s’est soit prononcé en faveur du gouvernement de Chávez (Bolivie, Cuba, Nicaragua), soit a signalé qu’il s’agissait d’une mesure administrative qui ne regardait que le Venezuela et ne souhaitait pas s’immiscer dans les affaires internes de la nation. Comme on le voit, RSF est experte dans le domaine de la désinformation15.

Pour ce qui est de la résolution du Parlement européen, elle a été effectivement adoptée le 24 mai 2007, mais seulement par 43 des 784 députés européens, c’est-à-dire à peine 5,4% des parlementaires. Cette résolution a été unanimement rejetée par 741 députés pour son caractère politisé et surtout parce qu’elle représentait une inacceptable ingérence dans les affaires internes d’un pays souverain. La plupart d’entre eux ont refusé de participer au vote et ont quitté l’hémicycle. Quant à l’OEA et à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, elles n’ont émis aucune condamnation, contrairement à ce qu’avance RSF, mais simplement des recommandations d’ordre général sur la liberté de la presse16.

Les autres manipulations de RSF

RSF assure également que « les demandes de rendez-vous avec des membres du gouvernement et des représentants de médias publics ou progouvernementaux sont restées sans réponse. Aussi éloquent que les propos des personnes rencontrées, ce silence tend à confirmer que l’affaire RCTV ne se limite pas à une simple mesure administrative ». Pourtant, le gouvernement a réitéré à maintes reprises n’avoir reçu aucune demande de rendez-vous de la part de RCTV. En promouvant le point de vue de Marcel Granier, RSF fait montre une nouvelle fois de son côté partisan et stigmatise le gouvernement démocratique d’Hugo Chávez en le qualifiant de « régime politique particulier qu’on appelle le ‘chavisme’ ». Ici, on est loin du thème de la « liberté d’expression ». Ménard se place dans une situation d’opposition politique et idéologique en caricaturant délibérément le gouvernement vénézuelien. Le terme « chavisme » est en effet souvent utilisé de manière péjorative par l’opposition17.

RSF conclut son rapport par une contre-vérité manifeste, mettant en garde contre « l’hégémonie médiatique » du président. Il est nécessaire d’être précis à ce sujet. Pour la bande VHF, en 2000, il y avait 19 chaînes de télévision privées et 1 publique. En 2006, le chiffre est passé à 20 chaînes privées contre une seule chaîne publique. Depuis le 28 mai 2007, il y a 19 chaînes privées et deux chaînes publiques, Venezolana de Televisión et TVes qui remplace RCTV sur les ondes hertiziennes. Pour la bande UHF, en 2000, il y avait 28 chaînes privées et deux chaînes publiques. En 2006, il y avait 44 chaînes privées et 6 publiques. Au niveau des radios, pour les ondes AM, en 2000 et 2006, il y avait 36 radios publiques contre 143 radios privées. Pour les ondes FM, il y avait 3 radios publiques contre 365 radios privées en 2000. En 2006, le chiffre est passé à 440 radios privées et 10 radios publiques. Comme on le voit, RSF affabule18.

« RCTV diffuserait de la pornographie », déclare RSF, utilisant le conditionnel pour suggérer qu’un doute subsiste sur cette accusation. Pourtant, la chaîne a été condamnée à plusieurs reprises par le Tribunal Suprême en 1981 et en 2006 pour avoir diffusé des scènes pornographiques à des horaires de grande écoute. Désormais, RSF remet en cause les décisions de la plus haute autorité judiciaire du pays19. De plus, il convient de rappeler que RCTV est la chaîne qui a été la plus sanctionnée (six fois) dans l’histoire du Venezuela pour violations de la loi, et une seule fois sous le gouvernement de Chávez20.

RSF accuse même le Tribunal suprême, qui a ordonné la mise à disposition des équipements de RCTV à la nouvelle chaîne TVes, de vouloir « compromettre la présence de la chaîne du lion sur le câble ». Ici, la maladresse de Ménard le pousse même à dévoiler à l’opinion publique qu’en réalité RCTV ne disparaît pas. En fait, le Tribunal suprême a simplement ordonné la cession temporaire des émetteurs afin d’assurer la continuité du service public. De plus, cette décision ne compromet nullement les possibilités de la chaîne d’émettre par câble, comme l’ont affirmé publiquement les principales entreprises de ce domaine21.

Pour RSF, Televen et Venevisión, deux des principales chaînes privées, qui ont adopté une position plus rationnelle à l’égard du gouvernement et qui depuis 2004 ont cessé de lancer des appels à l’insurrection et au renversement du gouvernement – tout en restant dans l’opposition comme le montrent aisément leurs programmes –, sont entre les mains du président Chávez. Même chose pour le quotidien national privé Últimas Noticias. Pour qu’ils soient qualifiés de médias d’opposition par RSF, sans doute faudrait-il que ces médias continuent à dénigrer le gouvernement, à manipuler l’information, à déstabiliser la nation et à lancer des appels au meurtre contre Chávez comme l’ont fait RCTV et Globovisión en mai 2007. RSF fait preuve d’une vision manichéenne : soit les médias sont contre Chávez, soit ils sont à sa botte22.

RSF affirme que « Hugo Chávez n’a cure du droit international ». Cette accusation est complètement gratuite. En effet, RSF est incapable de citer un seul cas de violation du droit international qu’aurait commis le gouvernement bolivarien. L’organisation certifie également que de nombreux « recours [de RCTV ont été] reçus favorablement à […] la Cour interaméricaine des droits de l’homme ». En réalité, ladite Cour a accepté d’étudier un seul recours le 25 mai 2007 et ne s’est toujours pas prononcée à ce sujet23.

« Hugo Chávez veut pour 2008 une réforme constitutionnelle qui lui permettrait d’être réélu indéfiniment », signale le rapport qui présente cette volonté comme un grand danger pour la démocratie. RSF a-t-elle oublié que dans la plupart des pays occidentaux, dont la France, la réélection illimitée est une réalité constitutionnelle ? Pourquoi RSF se prononce-t-elle sur des aspects de politique interne alors qu’elle affirme être uniquement intéressée par la « liberté de la presse » et être « apolitique24 » ?

« Un contrôle total de l’État, du gouvernement, des forces armées. Pas d’adversaire au Parlement, l’opposition ayant boycotté le scrutin législatif de 2005. Un parti dominant quasi unique. Vingt-deux gouverneurs d’État (sur vingt-quatre) entièrement dévoués. Et bientôt, une société civile pratiquement sous cloche ». Voici le constat alarmiste de RSF. « Un parti dominant quasi unique », vitupère RSF, alors qu’il existe plus d’une dizaine de partis politiques au Venezuela. Sans doute qu’en France, l’Etat, le gouvernement et les forces armées sont contrôlés par l’opposition. Quant au Parlement et aux postes de gouverneur, RSF remettrait-elle en cause le choix démocratique des électeurs vénézueliens ? Et la société civile se limite-t-elle à l’opposition de plus en plus marginale ? Ou bien concerne-t-elle l’ensemble de la population ? Reprenant la rhétorique de l’opposition qui a subi plus de 10 déroutes électorales consécutives depuis 1998, RSF prétend fallacieusement que Chávez contrôle toutes les institutions du pays, dans le but de faire passer le gouvernement le plus démocratique de l’Amérique latine pour un régime autoritaire. Du reste, ces considérations n’ont strictement rien à voir avec la « liberté de la presse25 ».

L’organisation parisienne s’en prend également à l’avocate Eva Golinger. Son crime ? Avoir révélé au grand jour le nom de tous les journalistes vénézueliens financés par les Etats-Unis par le biais de la USAID, et où « figure notamment le correspondant de Reporters sans frontières », comme le reconnaît le rapport rédigé par Ménard26.

RSF assure également que le président Chávez est conseillé par plusieurs personnalités mondiales pour la réforme constitutionnelle et cite, entre autres, l’Argentin Norberto Ceresole. Le seul problème est que Ceresole est décédé en 2003 d’un infarctus du myocarde. Ces grossières erreurs factuelles montrent le peu de crédit du rapport de l’organisation27.

RSF s’est forgée son opinion sur la réalité médiatique vénézuelienne après seulement cinq jours de présence dans le pays, « du 24 au 28 mai 2007 », et après s’être entretenue uniquement avec des journalistes et patrons de presse de l’opposition. Son objectif de départ était très clair : transformer une décision administrative commune à tous les pays du monde en un acte de censure et d’atteinte à la liberté de la presse. Comment l’organisation parisienne peut-elle prétendre faire preuve d’impartialité et de sérieux avec de telles pratiques28 ?

Pourquoi RSF ne s’est-elle pas indignée contre le non renouvellement de la concession de la chaîne de télévision espagnole TV Laciana en 2004, de la chaîne TV Católica en 2005 et de la chaîne Tele-Asturias en 2006 ? Pourquoi RSF ne s’est-elle pas mobilisée contre le non renouvellement de la concession des chaînes britanniques One TV, Actionworld et StarDate TV 24 en 2006, ou de Look for Love 2 en 2007 ? Pourquoi Robert Ménard ne s’est-il pas rendu au Pérou pour enquêter sur la fermeture de deux chaînes de télévision en 2007, ou au Salvador quand le gouvernement a décidé de révoquer la concession de la chaîne Salvador Network en 2003 ? Pourquoi RSF est-elle restée impassible quand le Canada n’a pas procédé au renouvellement de la concession de la chaîne Country Music Television (CMT) en 1999 ? Pourquoi RSF a-t-elle passé sous silence la révocation de la concession des chaînes étasuniennes Daily Digest en 1998 et FCC Yanks Trinity License en 199929 ?

Cette indignation à géométrie variable démontre clairement que le cas ordinaire de RCTV n’est qu’un prétexte pour RSF afin de stigmatiser Hugo Chávez et continuer sa guerre de désinformation contre un gouvernement démocratique et populaire. Quand à la liberté d’expression, toute personne ayant passé 24 heures au Venezuela ne peut que s’étonner du ton acerbe et fanatique des chaînes d’opposition à l’égard du gouvernement. Affirmer le contraire serait un extraordinaire acte de mauvaise foi.

Le véritable rôle de RSF n’est pas de défendre la liberté de la presse comme elle le prétend, mais de promouvoir les intérêts politiques et économiques des entités qui la financent. Parmi celles-ci se trouve le gouvernement des Etats-Unis, qui arrose généreusement l’organisation parisienne par le biais la Fondation nationale pour la démocratie (National Endowment for Democracy), organisation que le journal le plus important du monde, le New York Times, qualifie d’officine écran de la CIA30.

Notes

1 Reporters sans frontières, « Fermeture de Radio Caracas Television : la consolidation d’une hégémonie médiatique », 5 juin 2007. www.rsf.org/img/doc/rapport_rctv_fr.doc (site consulté le 6 juin 2007).

2 Ibid. ; Libro Blanco de RCTV, « Mitos y hechos sobre Radio Caracas Televisión », Cuba Debate, 30 mai 2007.

3 L’Express, « Chávez bâillonne la dernière chaîne d’opposition », 29 mai 2007.

4 Ibid.

5 Ibid.

6 Ibid. Pour les 652 infractions voir Jean-Luc Mélanchon, « Où va la bonne conscience anti-chaviste », 26 mai 2007, www.jean-luc-melanchon.fr (site consulté le 30 mai 2007). Pour le sabotage pétrolier voir Agencia Bolivariana de Noticias, « No aceptaremos comportamientos antidemocráticos de la oposición », 3 novembre 2006.

7 Lamia Oulalou, « Chávez bâillonne la télé d’opposition », Le Figaro, 26 mai 2007.

8 Eva Golinger, El código Chávez (La Havane: Editorial de Ciencias Sociales, 2005), p. 125.

9 Bart Jones, « Hugo Chávez Versus RCTV », Los Angeles Times, 30 mai 2007.

10 Reporters sans frontières, « Fermeture de Radio Caracas Television : la consolidation d’une hégémonie médiatique », op. cit.

11 Bart Jones, « Chávez As Castro ? It’s Not That Simple In Venezuela », Houston Chronicle, 7 février 2007.

12 Reporters sans frontières, « Un journaliste a été tué, trois autres ont été blessés et cinq chaînes de télévision brièvement suspendues », 12 avril 2002. www.rsf.org/article.php3?id_article=1109 (site consulté le 13 novembre 2006).

13 Reporters sans frontières, « Fermeture de Radio Caracas Television : la consolidation d’une hégémonie médiatique », op. cit. ; Agencia Bolivariana de Noticias, « Hoy el pueblo demostró que está mobilizado en apoyo a la revolución », 2 juin 2007.

14 Ibid.

15 Reporters sans frontières, « Fermeture de Radio Caracas Television : la consolidation d’une hégémonie médiatique », op. cit.

16 El Nuevo Herald, « Legisladores de EEUU y Europa condenan cierre de RCTV », 25 mai 2007.

17 Reporters sans frontières, « Fermeture de Radio Caracas Television : la consolidation d’une hégémonie médiatique », op. cit.

18 Ibid. ; Telesur, « Informe RSF ‘Cierre de Radio Caracas Television. La consolidación de una mentira mediática a través de 39 embustes », 7 juin 2007.

19 Telesur, « Informe RSF ‘Cierre de Radio Caracas Television. La consolidación de una mentira mediática a través de 39 embustes », op. cit.

20 Agencia Bolivariana de Noticias, « RCTV ha sido el canal más sancionado en Venezuela », 29 mars 2007.

21 Reporters sans frontières, « Fermeture de Radio Caracas Television : la consolidation d’une hégémonie médiatique », op. cit.

22 Ibid.

23 Ibid. ; Néstor Ikeda, « CIDH pide a Chávez proteger libertad de expresión », Associated Press, 25 mai 2007.

24 Reporters sans frontières, « Fermeture de Radio Caracas Television : la consolidation d’une hégémonie médiatique », op. cit.

25 Ibid.

26 Ibid.

27 Ibid. ; Telesur, « Informe RSF ‘Cierre de Radio Caracas Television. La consolidación de una mentira mediática a través de 39 embustes », op. cit.

28 Reporters sans frontières, « Fermeture de Radio Caracas Television : la consolidation d’une hégémonie médiatique », op. cit.

29 Jean-Luc Mélanchon, « Où va la bonne conscience anti-chaviste », op. cit.

30 Robert Ménard, « Forum de discussion avec Robert Ménard », Le Nouvel Observateur, 18 avril 2005. www.nouvelobs.com/forum/archives/forum_284.html (site consulté le 22 avril 2005) ; John M. Broder, « Political Meddling by Outsiders : Not New for U.S. », The New York Times, 31 mars 1997, p. 1.



RCTV : les dessous cachés du cirque européen contre Chavez.

Par Maxime Vivas

Le 15 mai 2007, une alliance majoritaire entre les partis de la droite européenne, PPE, ALDE, UEN avec l’ITS (groupe politique d’ extrème droite, notamment de Jean-Marie et Marine Le Pen) a obtenu, contre l’avis de tous les autres partis, qu’une « Résolution du Parlement européen sur le Venezuela » soit inscrite à l’ordre du jour, pour un vote.

Cette résolution affirme que le non renouvellement de la licence hertzienne de la chaîne de télé RCTV condamne ce média qui emploie 3 000 salariés à disparaître, que la « fermeture de ce média » contrevient au droit de la presse à jouer son rôle de contre-pouvoir, que le gouvernement vénézuélien doit garantir une information pluraliste et faire respecter la liberté d’expression, Elle appelle au dialogue entre le gouvernement et RCTV.
Enfin, elle demande au Tribunal supérieur de justice vénézuélien d’annuler dans les plus brefs délais le décret entérinant la fin de la licence de diffusion de RCTV.

- Cette résolution de la droite et extrême droite parlementaire européenne (groupes majoritaires) est bourrée d’erreurs puisque RCTV ne va pas disparaître (elle sera privée de la voie hertzienne mais pourra émettre librement via le câble, le satellite, et Internet), que les salariés garderont leur emploi, que le pluralisme de l’information est garanti au Venezuela comme nulle part en Amérique latine. De plus, les incessantes invitations au dialogue en 2005 et 2006 lancées par la CONATEL (équivalent de notre CSA) se sont heurtées à des fins de non recevoir de RCTV.

- Cette résolution n’est soutenable que si l’on accepte trois postulats :

1. une chaîne de télévision privée qui a obtenu une licence pour 20 ans bénéficie en fait d’une licence à perpétuité.

2. une chaîne de télévision privée qui appelle à un coup d’Etat contre un président élu, qui bafoue les lois (publicité clandestine, fraude fiscale, non respect des quotas de production nationale, introductions d’images subliminales dans des émissions pour la jeunesse [1]etc.), qui refuse tout dialogue avec les Autorités peut EXIGER ce renouvellement.

3. Le Tribunal supérieur de justice vénézuélien ne doit pas se prononcer en son âme et conscience, en organisme indépendant (y compris de l’Europe), en application de la législation de son pays, mais « annuler » la décision de non renouvellement.

- Cette motion est lacunaire puisque RCTV peut émettre librement via le câble, le satellite, Internet. Les centaines de chaînes qui, à travers le monde, émettent ainsi NE SONT PAS FERMEES.

- Cette résolution fait preuve d’une sollicitude, pour d’hypothétiques licenciés vénézuéliens, dont la droite nous prive trop souvent pour des licenciés européens d’entreprises qui ferment VRAIMENT, de par la seule volonté de leur patron.

- Cette résolution nous rappelle qu’on n’a pas lu de motion analogue quand, durant le coup d’Etat d’avril 2002, des médias vénézuéliens dont la licence n’était pourtant pas caduque ont été brutalement fermés, complètement, sans préavis, tandis que des journalistes étaient arrêtés, voire torturés, puis quand l’information disparut des écrans pour masquer l’échec du putsch.

- Cette résolution nous interpelle sur ce qui se passerait demain si une télé française appelait l’armée à renverser Sarkozy, propageait les plus gros mensonges pour y aider, organisait une marche sur l’Elysée, s’acoquinait avec ceux qui tirent des coups de feu dans la rue, approuvait ceux qui ont dissous le gouvernement, le parlement et la plupart des Institutions étatiques, interdit les syndicats, démis tous les hauts fonctionnaires, pourchassé les journalistes non putschistes. Si tout cela se produisait, nos parlementaires signataires se battraient-ils pour que soit accordé à cette télé le droit de démontrer, pendant 20 ans de plus, son amour si particulier pour la démocratie ? Dans le cas inverse, ils indiqueraient que ce qu’ils admettent pour le Venezuela leur paraît indigne pour la France, faisant ainsi montre d’un esprit néo-colonial.

- Cette résolution nous suggère que, puisque nos médias nos télévisions privilégient un certain courant de pensée (le directeur adjoint de la campagne de Sarkozy étant coopté par la direction de TF1), il serait utile d’en voter une autre, pareillement soucieuse de la liberté d’expression et du pluralisme et destinée à l’Europe.

- Cette résolution s’est alimentée d’informations portées à Strasbourg par Marcel Granier, patron de RCTV, appuyé par Robert Ménard de RSF.


C’est le socialiste français, Jean-Pierre Cot, ancien président du groupe socialiste qui a fait inviter Marcel Granier au parlement européen il y a deux mois. Dans un premier temps les socialistes européens ont demandé l’inscription de cette question à l’ordre du jour puis, divisés, ils ont flotté pour ensuite se prononcer contre l’inscription de la motion à l’ordre du jour des urgences des droits de l’homme, et au final pour se rallier au compromis de gauche et voter contre la motion de la droite.

Jean-Marie Cavada a beaucoup insisté officiellement auprès des instances du parlement européen pour que le cas de RCTV soit inscrit à l’ordre du jour des urgences des droits de l’homme du Parlement européen (au même titre que les massacres, les disparitions forcées ou la torture).

Le 21 mai, le député Vert français Alain Lipietz proposait une motion, moins marquée que celle du PPE, mais en retrait sur ses déclarations passées après un voyage au Venezuela où il avait pu visiter des studios de télévisions (dont Vive TV) et se faire un juste opinion dont il avait honnêtement rendu compte. Sa motion regrettait que cette décision établisse « un précédent » et il sollicitait que le cas de RCTV soit examiné au sein des délégations et commissions compétentes du Parlement européen.

De Paris, le sénateur socialiste Jean-Luc Mélenchon, ami du Venezuela, informait les parlementaires socialistes français et européens. D’un peu partout, d’autres amoureux de la vérité et de la liberté interpellaient des responsables socialistes (dont Fabius, qui ne souffla mot).

Le groupe de gauche GUE/NGL (qui regroupe les communistes et les Verts nordiques), a présenté une résolution insistant sur le droit souverain du gouvernement vénézuélien de réguler son espace audiovisuel et de son obligation constitutionnelle de ne pas permettre des monopoles et des concentrations des médias.

En fin de compte, après une intense activité de ce groupe, un compromis put être signé sur une motion alternative incluant le GUE/NGL, le PSE (groupe du parti socialiste européen) et les Verts.

Ce compromis considère que le non renouvellement de la licence de diffusion VHF de RCTV par l’organe régulateur de l’espace hertzien vénézuélien a été justifié par l’appui de cette télévision à la tentative de coup d’Etat militaire de 2002, au blocage pétrolier de 2003 et par son comportement partial lors du référendum révocatoire de 2004, ainsi que par des violations répétées de la législation sur la protection de l’enfance, de la protection de l’image des femmes et des indigènes à la télévision ;

Il note que la question du pluralisme et de la liberté d’expression dans l’Amérique latine et (notez la malice) aussi dans l’Union européenne devrait être traité dans le cadre d’un dialogue constructif avec les structures de coopération parlementaires existantes entre l’UE et l’Amérique Latine ainsi qu’avec les représentants des gouvernements et de la société civile ; demande par conséquent aux délégations et commissions compétentes du Parlement européen de se saisir de cette question.

Il demande aux autorités du Venezuela, au nom de l’impartialité de l’Etat, de veiller à la non concentration des médias, la qualité, au pluralisme de l’information, et au respect des normes en vigueur.

Il appelle les médias vénézuéliens privés et publics au traitement objectif et impartial de la vie politique vénézuélienne ; soutient les médias qui assurent le pluralisme et la légalité démocratique.

Il prend note de l’annonce du gouvernement vénézuélien qu’il assumera strictement les décisions du pouvoir judiciaire au sujet de la RCTV ; il demande à toutes les parties de faire de même.

Ce dernier point est important : le Tribunal suprême de justice s’est prononcé le 23 mai en rejetant le recours de RCTV. La suppression d’un des canaux d’émissions d’une télé putschiste est donc non seulement légitime, mais légale au Venezuela. La distinction est faite entre le rôle de contre-pouvoir et celui d’incarnation du pouvoir.

Sentant le vent venir, les groupes de droite avaient in extremis modifié leur résolution dans un « compromis final » qui n’appelle plus le tribunal à trancher, mais qui déclare par avance sa décision nulle au prétexte qu’il « n’a pas respecté le délai légal pour statuer ».

Autre version chez Reporters sans frontières dont un communiqué, « déplore » la décision du Tribunal car « la licence est valable jusqu’en 2022 », fable inventée par Marcel Granier, qu’aucun parlementaire européen n’a jugé utile de reprendre. RSF précise en outre qu’elle a envoyé au Venezuela des représentants pour soutenir RCTV et rencontrer les médias et les autorités concernées.


Cette décision de Justice a de quoi laisser muets nos parlementaires européens, qui l’étaient déjà lors de la suppression par notre CSA de la licence de TV6 en 1987 et d’Al Manar, en 2004, par la mise en demeure par le CSA, le 21 mai 2007, d’Eutelstat de ne plus diffuser Al Jazeera, par la révocation en Espagne de la concession de TV Laciana en 2004 et de TV Catolica en 2005, la fermeture de TeleAsturias en Mars 2007 par la révocation au Royaume-Uni de la licence de One TV, d’Actionworld et de StarDate TV.24 en 2006, de Look 4 love 2 en 2007.

Mais, s’il s’agit d’observer leur vigilance relative à l’Amérique latine, on risque de déplorer un tri sélectif : en avril 2007, le Pérou a fermé deux chaînes de télévision pour infraction à la réglementation. En 2003, Le Salvador a révoqué la concession de Salvador Network.

Plus au Nord sur le continent américain ? En 1999, le Canada révoque la concession de Country Music Television (CMT). En 1969, les Etats-Unis révoquent la concession de WLBT-TV, en 1981 de WLNS-T, en 1998 de Daily Digest et en 1999 de FCC Yanks Trinity License.


La résolution de la droite du parlement européen contre le Venezuela, a été votée sournoisement le 24 mai, sans quorum, en détournant la procédure des urgences pour les droits de l’homme, conçue pour des sujets consensuels de défense des libertés fondamentales.

Sur 785 députés, 65 seulement étaient présents. Le vote a été acquis par 43 voix contre 22.
Jean-Marie Cavada n’a pas daigné descendre de son bureau à l’hémicycle pour assister au débat ou participer au vote des résolutions..... Parmi les rares députés français présents pour le vote, on remarquait Pervenche Bérés (PSE) et le communiste Francis Wurtz (GUE/NGL).

Ce vote est bien, ainsi que le reconnaissent sans difficulté des parlementaires de droite dans les couloirs de Strasbourg, « un vote politique ».

L’objectif est en effet de punir un pays qui prétend récupérer ses richesses naturelles, aider les autres pays de la région à se soustraire à la misère et à l’Empire, qui vient de se retirer du FMI et de la banque mondiale, qui projette de créer une banque du Sud.

A la tête de ce pays, un homme qui gagne élections sur élections, porté par son peuple, malgré la violence de médias appartenant pour l’essentiel à l’opposition.

Maxime Vivas


PS.

- La résolution finale de la droite et extrême droite ne parlait plus de « condamnation » à disparaître pour RCTV mais de « risque » de disparition.
Longue est la route qui serpente devant les vérités évolutives.

- Au moment où j’écris ces lignes (vendredi 25 mai, 10 heures à Caracas), je ne suis pas en mesure de connaître la liste nominative des députés qui ont voté cette résolution. Nul doute que les lecteurs l’obtiendront et l’ajouteront en commentaire à cet article.




RCTV : au Parlement européen, la droite et Reporters Sans Frontières se liguent contre le Venezuela, par Bernard Cassen et Christophe Ventura.


Venezuela : Chávez, les putschistes, la télé et le peuple, par Maxime Vivas.

Quelle sorte de dictateur êtes-vous, Monsieur Chavez ?

Par Javier Adler

Texte paru sur le site de "Rebelión"

Traduction de Antonio L. dédiée à l’inénarrable Paolo A. Paranagua, "spécialiste" de l’Amérique Latine au "prestigieux" journal Le Monde et à ses congénères de Libération et d’ailleurs !




Monsieur Chavez,

J’observe depuis des années votre étrange comportement comme dictateur. Passe encore que vous arriviez au pouvoir par des élections après tout il faut bien y arriver d’une façon ou d’une autre, mais ce qui suit est injustifiable !

- Primo, vous vous proposez de changer la Constitution et pour cela vous ne trouvez rien de mieux que de consulter le peuple. Qu’est-ce à dire ?... Pire encore, vous convoquez des élections pour élire les membres de l’Assemblée Constituante puis une autre consultation pour approuver la Constitution. Inexplicable du point de vue des principes de la dictature.

- Deuxièmement, nouvelles élections en 2000 et ensuite d’autres élections successivement dans des secteurs moins importants. Mais pourquoi ? Oublieriez-vous par hasard que vous n’avez pas besoin de l’approbation du peuple ? Et maintenant vous menacez encore de nouvelles élections en 2006 ! Reprenez-vous, Monsieur Chavez ! Un peu de bon sens avant qu’il ne soit trop tard !

- Troisièmement, on tente un coup d’état contre vous et lorsque le Tribunal Suprême relaxe les putschistes... vous acceptez le verdict ! Mais quelle sorte de dictateur totalitaire et bananier procède de cette façon ? Au nom du ciel, même les fameux pistoleros n’ouvrirent le feu contre aucune manifestation et il n’étaient pas non plus à votre solde. Les médias ont été obligés de faire un montage mais seulement pour vous tirer de l’embarras afin que personne ne puisse dire que vous n’êtes pas un dictateur. Cessez de vous appuyer sur les médias, Monsieur Chavez, et soyez un dictateur par vos propres mérites.

- Quatrièmement, l’opposition sabote l’économie (parce que, dans votre insolite dictature, il y a une opposition) et la seule chose qui vous vient à l’esprit c’est de licencier (légalement !) quelles cadres de PDVSA. Là, il n’y a aucune excuse possible, Monsieur Chavez : vous avez eu deux mois pour réagir et tirer quelques coups de feu, emprisonner des gens, décréter quelques états d’exception, etc. Bref, comme n’importe quel dictateur qui se respecte !!

- Cinquièmement, le référendum révocatoire. Non seulement vous introduisez cette possibilité dans la Constitution -ce qui est du jamais-vu pas seulement chez les dictateurs mais dans les gouvernements démocratiques- mais en plus, tranquillement, vous permettez qu’il soit mené à terme. Et n’essayez pas de nous raconter que vous pensiez arranger les résultats, parce que les observateurs internationaux ont affirmé que le scrutin était « propre ». Oui, oui, une élection propre, ne le niez pas !

Pour résumer, c’est bien que vous revêtiez de temps en temps l’uniforme et que vous chantiez à la télévision. Mais pour le reste, votre comportement comme dictateur laisse beaucoup à désirer. Et pourtant ce n’est pas faute d’avoir reçu des médias les rappels quotidiens de votre nature autoritaire.

C’est déjà largement suffisant que nos démocraties se comportent anti-démocratiquement ; si en plus les dictateurs ne se comportent pas comme tels !...

S’il vous plaît, un peu de cohérence.

Bien à vous

Javier Adler

http://www.rebelion.org/noticia.php...

http://www.bellaciao.org/fr/article...

Le Monde encense un journaliste de RCTV

Par Romain Migus

Paolo A. Paranagua se trouverait donc à Caracas si l'on en croit la mention "envoyé spécial" qui accompagne ses récents articles de propagande contre le gouvernement bolivarien.

Cette fois, c'est le portrait d'une "grande vedette de la télévision vénézuélienne", qu'il nous dresse dans Le Monde du 25 mai 2007 (1). Il s'agit de Miguel Angel Rodriguez, présentateur de l'émission "La entrevista" diffusée tous les matins sur RCTV, le TF1 vénézuélien.

Cette émission n'est pas critique par rapport à l'action du gouvernement, elle est carrément hostile. Tous les moyens sont bons pour discréditer le gouvernement. Du trucage médiatique aux plus grosses calomnies.

Le 5 mai au matin, les Vénézuéliens qui se réveillent avec Miguel Angel Rodriguez ont été témoins d'une manipulation de la sorte. Le présentateur commente un extrait de la conférence de presse du directeur du Corps d'Investigation Scientifique, Pénale et Criminelle (CICPC, l'équivalent vénézuélien du FBI). Lors de sa déclaration, le directeur du CICPC, Marcos Chavez, énumère les 219.000 DELITS (delitos en espagnol) commis au Venezuela depuis 2004. Une légère baisse, mais le chiffre reste élevé.

Mais Miguel Angel s'emballe, il a déjà son scénario tout prêt : "Chers téléspectateurs, nous allons repasser en image cette déclaration." On peut alors réécouter Marcos Chavez parler de 219.000 délits commis. Miguel Angel regarde alors la caméra fixement et, avec une rage quasi-hystérique, il hurle au téléspectateur : "Rendez-vous compte ! 219.000 homicides depuis 2004, mais dans quel pays vivons-nous ?"

Peut-il se tromper alors qu'il vient lui-même de diffuser deux fois l'extrait de la conférence de presse, qu'il vient d'écouter, par deux fois, le directeur du CICPC parler de "délits" et non d'homicides ? Jusqu'à preuve du contraire, le vol d'un téléphone portable, même si cela reste un acte punissable, n'est en rien comparable à un assassinat.

Autre exemple des pratiques de notre présentateur – star… Peu avant les élections présidentielles de décembre 2006, le Conseil National Electoral (CNE) interdit aux médias nationaux de publier des sondages à la sortie des urnes. Cette pratique a été une tactique essentielle des diverses "révolutions oranges" en Europe de l'Est et au Caucase, où l'entreprise étatsunienne Penn, Schoen & Burland, diffusait des sondages trompeurs présentant toujours le camp pro-étatsunien comme largement vainqueur. (2)

Au Venezuela, la même tactique avait déjà été utilisée durant le référendum révocatoire en aout 2004. Penn, Schoen & Burland donnait l'opposition gagnante avec 60%. En réalité, ce fut Chavez qui obtint ce chiffre, les résultats officiels étant confirmés par tous les observateurs internationaux.

Devant cette interdiction de diffuser des sondages sortie des urnes, Miguel Angel Rodriguez s'insurge. Il y a de quoi, le pouvoir électoral vient de couper l'herbe sous le pied de l'opposition putchiste : "Mais enfin, la publications des sondages à la sortie des urnes est une pratique UNIVERSELLE !", prétend-il.

Chers lecteurs français, il ne sert à rien que vous écriviez à ce "grand journaliste" pour l'informer qu'en France aussi, c'est interdit. Miguel Angel - qu'on ne peut qualifier d'idiot - le sait très bien. Mais il a ainsi injecté à ses téléspectateurs un sentiment d'injustice flagrante. Les amenant à soupçonner la préparation d'une fraude généralisée.

De tels exemples, nous pourrions les multiplier.Nous pourrions rajouter que les partisans du gouvernement sont régulièrement qualifiés de "milices", de "guérilleros urbains", et "d'envahisseurs" dans le cas des paysans sans terre. En fait, Miguel Angel Rodriguez, bien loin d'exercer la noble profession de journaliste, est un acteur politique sans scrupules à qui RCTV a offert deux heures de grande audience.

Visiblement, l'envoyé spécial du Monde, Paolo A. Paranagua n'a pas pris le temps de visionner l'émission de RCTV avant de faire l'éloge de son présentateur. Ou alors partagerait-il les mêmes valeurs d'information partiale et réactionnaire de son homologue vénézuélien ? Cette partialité serait alors inquiétante pour le droit à être informé dont tous les citoyens français devraient jouir.

Comment expliquer cette partialité de Rodriguez ? L'avocate Eva Golinger (3) s'y est attachée. Elle vient de dévoiler des documents déclassifiés des Affaires étrangères étasuniennes. Ces documents établissent que le héros de Monsieur Paraguana a reçu, comme une quinzaine de journalistes de l'opposition, une bourse de ce ministère.

Miguel Angel Rodriguez a recu un financement de 6.085 US$. L'intéressé ne démentira pas. Comment le pourrait-il ? Il se contentera de souligner que 6.085 US$, ce n'est pas une grosse somme (juste vingt fois le salaire minimum vénézuélien). Il ajoutera que cette somme à laquelle se rajoutent ses nombreuses notes de frais lui a été allouée pour participer à un programme du Département d'Etat nommé "The Role of Media in US Society" (le rôle des médias dans la société étasunienne).

Certes, il ne s'agit que d'une bourse émanant du gouvernement des Etats-Unis. Mais sur ce point la loi étasunienne est formelle : "Les personnes ou organisations qui reçoivent des financements, des bourses ou des dons d'une agence des Etats-Unis sont considérés comme du personnel et protégés par la loi comme employés ou contractés du gouvernement des Etats-Unis." (5 U.S.C. § 552 (b)(6), Norwood v. FAA, 580 F.Supp. 994 (WD Tenn. 1983).

Pourquoi donc Paolo A. Paranagua, quand il fait l'éloge de Miguel Angel Rodriguez, omet-il de préciser qu'il défend un employé du gouvernement des USA, lequel est impliqué dans un coup d'Etat contre le gouvernement bolivarien ? Pourquoi donc le Monde ne publie-t-il pas un rectificatif ou une modération de l'article de Paranagua ? Pourquoi donc les citoyens français doivent-ils être manipulés de la même manière que les Vénézuéliens le sont par leurs médias commerciaux ?

Les révélations d'Eva Golinger ne s'arrêtent pas là. En effet, un autre document déclassifié du département d'Etat, datant de mars 2001, indique : "Comme dans presque tous les programmes du "journalisme IV" [le programme mis en place par le département d'Etat qui concerne ces journalistes vénézuéliens], notre objectif est d'informer le participant sur les pratiques et règles du journalisme aux Etats-Unis, particulièrement dans le domaine du journalisme civique, pour pouvoir influer sur la manière, et plus tard, sur la couverture donnée sur des sujets importants de la politique extérieure étasunienne, et pour consolider le processus démocratique aux Venezuela."

Les objectifs de ce type de programme d'échange sont donc limpides. Il s'agit ni plus ni moins que de s'installer confortablement au cœur des médias commerciaux vénézuéliens pour orienter l'opinion vénézuélienne en faveur des intérêts du gouvernement US. Ainsi, Paolo A. Paraguana nous indique que Miguel Angel Rodriguez "verrait bien le chef de l'Etat comparaître devant des tribunaux ou devant une cour internationale pour "violation des droits de l'homme". Rien que ça ! Cette Cour sera-t-elle financée par les Etats-Unis comme le Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie ? Chavez pourrait-il alors mourir en prison avant d'être jugé, comme Milosevic ? En tout cas, cette remarque de l'employé du Département d'Etat n'a pas choqué l'envoyé spécial du Monde. Quant à la "consolidation du processus démocratique au Venezuela", ce sont précisément les Etats-Unis et leurs employés qui l'ont à maintes reprises bafouée, notamment en organisant le coup d'Etat de 2002.

Encore plus éclairant, et permettant de dissiper les derniers doutes : le rapport émis par le Département d'Etat sur Enrique Reynaldo Trombetta, un autre participant au programme "journalisme IV" : "Nous espérons que la participation de Mr. Trombetta comme boursier de type IV sera directement reflétée dans ses reportages sur des thèmes politiques et internationaux. Au cours de son ascension dans sa carrière, nos liens profonds avec lui signifieront un ami potentiel important en position d'influence éditoriale. (…) Ceci veut dire qu'il aura une influence significative sur les autres journaux en ce qui concerne les sujets importants pour l'ambassade, comme l'ALCA et la politique anti-terroriste. Cela pourra se traduire par une compréhension meilleure et une sympathie pour les positions des Etats-Unis, et ça se reflétera dans ses reportages." (Document déclassifié du Département d'Etat datant d'août 2002, soit quatre mois après le Coup d'Etat).

L'objectif est clair et la technique n'est pas neuve, elle a déjà fait ses preuves dans d'autres pays avec d'autres "journalistes indépendants". Nous imaginons certainement que Paolo A. Paraguana - qui ne débute pas dans le métier - a déjà entendu parlé de ce type de pratique du gouvernement des Etats-Unis. Alors pourquoi avoir dressé une telle hagiographie d'un employé du gouvernement des Etats-Unis ? Le rôle du Monde ne devrait-il pas être d'informer les lecteurs français sur ce qui se passe vraiment au Venezuela ?

Le journaliste du Monde, dont l'objectif de la présence à Caracas nous échappe, n'a donc pas assisté à la conférence de presse où l'avocate Eva Golinger a dévoilé ces documents du Département d'Etat que nous mentionnons. Certainement trop occupé à se faire le porte-parole de l'opposition vénézuélienne radicale, Paranagua n'a même pas lu tous les journaux qui se font l'écho de cette conférence de presse. Le lecteur du Monde n'en saura donc rien.

Pourquoi ?


Notes:

(1) Paolo A. Paranagua, "Miguel Angel Rodriguez, une voix de trop pour Hugo Chavez", Le Monde, 25/05/07. http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3222,36-914730@51-897252,0.html

(2) Voir Romain Migus, "Derrière le masque démocratique de l'opposition vénézuélienne", Risal, http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1965

(3) Auteur en français de l'ouvrage incontournable : Code Chavez : CIA contre Venezuela, éd. Oser Dire, 2006. Ouvrage disponible en écrivant à nessa.kovic@skynet.be