Entrevue avec Luis Primo

Luis primo lors de son passage en Europe avec "Hands off Venezuela"

Luis Primo, Membre de la coordination de la Union Nacional de los Trabajadores (UNT), est également membre du CC du Courant Marxiste Révolutionnaire, une tendance trostkiste liée au Militant britannique du parti pro-chaviste Patrie Pour Tous (PPT), et de la tendance Force Bolivarienne des Travailleurs au sein de l’UNT.



La centrale syndicale UNTs’est créée en rupture avec la centrale traditionnelle, la Centrale des Travailleurs du Vénézuéla, la CTV. Celle-ci est très liée au parti Action Démocratique, l’un des deux partis qui assuraient traditionnellement l’alternance avant l’élection de Chavez. La CTV avait pris une part active dans la lutte de l’opposition pour renverser celui-ci et soutenu sans réserve le coup d’Etat avorté du 12 avril 2002. Ceci s’explique par le fait que beaucoup de ses adhérents sont des fonctionnaires publics ou travaillent dans l’industrie pétrolière, postes pour lesquels une carte de AD ou de la CTV est un plus sérieux.

Q : Peux-tu nous expliquer la création de l’UNT ?

Luis Primo : L’existence de la CTV a toujours été le principal problème dans le mouvement syndical et ouvrier. En 1999, après l’élection de Chavez, s’est créé un Front National Constituant des Travailleurs, un mouvement classiste qui avait pour objectif la reconstruction d’une nouvelle centrale syndicale par un processus constituant qui parte de la base. Ce courant rassemblait entre 3 et 5000 personnes au départ et s’était renforcé avec la campagne pour la Constituante syndicale. Mais ce mouvement s’est soldé par un échec, dû à la faiblesse du gouvernement et des avant-gardes politiques à ce moment. Le FNC est alors devenu la Force Bolivarienne des Travailleurs.

Q : Et ensuite ?

LP : La question est revenue sur la table en 2000-2001. Le débat à l’intérieur de la CTV se posait entre l’organisation d’élections syndicales et celle d’un référendum sur la question de la Constituante syndicale, toujours portée par la gauche dans la centrale.

Q : Qui devait participer à ce référendum ? Les membres du syndicat ?

LP : Non, l’ensemble de la population était appelé à y participer. Il a eu lieu le 20 octobre 2001, et environ 20 % des votants y ont participé. Ca semble peu, mais il faut relativiser : c’est le même taux de participation qu’aux élections des Conseillers [des représentants aux assemblées de « paroisses » (districts), ndlr] qui ont eu lieu à peu près au même moment. 1,7 millions de votes se sont prononcés en faveur de la Constituante et environ 400 000 contre. Ca a été un désastre pour la bureaucratie, même si elle a bien entendu remis en cause la légitimité du référendum. Finalement, devant ce désaveu, la direction a démissionné, laissant un vide à la tête de la CTV. A nouveau s’est posé la question de savoir si pour combler ce vide il fallait tout remettre à plat avec une Constituante ou se contenter d’élection syndicales internes. C’est ce point de vue qui l’a finalement emporté.

Q : Qu’est-ce qui a donc finalement provoqué la rupture ?

LP : L’attitude de la bureaucratie pendant ces élections. Les premiers résultats n’ont été publiés que quatre semaines après le vote. Imagine la crédibilité des résultats ! Et de nombreuses irrégularités ont été constatées. Ces élections ont d’ailleurs été déclarées illégales récemment, en janvier dernier. Tout ça a déclanché une bronca chez les militants et la nécessité de créer une nouvelle centrale est apparue incontournable. Le 7 septembre2002 s’est tenue une initiative pour la nouvelle centrale syndicale, avec plus de 1500 délégués.

Q : Quels étaient les propositions lors de cette initiative ?

LP : Deux positions se sont affrontées : une partie de l’ancienne bureaucratie de la CTV voulait simplement que l’on décrète la création de la nouvelle centrale, nous, au contraire, nous voulions que cette construction passe par un processus consultatif de la base. C’est cette proposition qui l’a emporté.

Q : Et puis y il a eu le lock-out du pétrole, en décmbre 2002 [après l’échec du coup d’Etat d’avril, l’opposition lance une « grève générale » patronale dans le but de destabiliser l’économie et le gouvernement chaviste]

LP : Oui, ça a vraiment été le moment-clé : pour contrer le lock-out, les travailleurs ont eux-mêmes remis en marche les usines et les ont fait fonctionner sans l’encadrement la plupart du temps. C’est un moment où il y a eu une totale unité entre les travailleurs, les organisations populares qui s’étaient rassemblées devant les entreprises, et es militaires qui soutiennent le processus bolivarien. C’est à partir de cette expérience que l’UNT a vraiment pris son essor. Aujourd’hui, les secteurs stratégiques du pétrole, de l’électricité, des industries de base sont « passés » à l’UNT. Stratégiquement, c’est extrèmement important.

Q : Tu parlais d’un secteur bureaucratique dans l’UNT…

LP : Effectivement, il reste toute une frange de bureaucrates qui ont senti le vent venir, ou encore de gens qui se contenteraient d’un capitalisme d’Etat et sont des réformistes. Mais la gauche est très active, et la plateforme de l’UNT est la plus radicale qu’ait jamais connu le pays : elle demande le non-remboursement de la dette, la nationalisation des banques, la participation des travailleurs à la gestion des entreprises… Ce n’est pas un programme socialiste, mais c’est déjà un programme anticapitaliste.

Q : Justement, que penses-tu de la cogestion telle qu’elle commence à se mettre en place dans certaines entreprises ?

LP : Il y a en fait deux façons de faire de la cogestion : l’une c’est de permettre au travailleurs d’avoir un œil sur la gestion, mais sans pouvoir de contrôle. Tout réside dans le contrôle. La cogestion avec un contrôle ouvrier, je suis pour, c’est une excellente école pour les travailleurs qui petit à petit se rendent compte qu’ils sont capables de prendre les décisions et de gérer les entreprises. Mais sans réel contrôle ouvrier, c’est une façon au contraire de la lier à l’entreprise et de les exploiter encore davantage.

Q : Et l’expérience des coopératives ?

LP : là aussi, il y a deux possibilités. Dans certains cas, la coopérative sert de paravent à une véritable entreprise, fonctionne comme une entreprise, sauf que les ouvriers sont actionnaires. Dans d’autres cas, par contre, c’est une expérience extrèmement utile. Nous sommes dans une période de transition. Ce qui veut dire que le marché est encore incontournable. Mais par la multiplication des coopératives, leur regroupement, on peut de plus en plus réduire la part du marché capitaliste par celle d’un marché social. Il faudra que l’UNT prenne cette question en charge.

Q : Pour conclure, comment caractériserais-tu la situation ?

LP : Nous sommes dans une phase de transition. Je pense que la question sur l’opportunité du socialisme est posée. C’est vers ça que nous allons. La question est de savoir qui va l’emporter des secteurs réformistes ou révolutionnaires.


Propos recueillis par Pierre Doury

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