Durant les mois de juillet et août derniers, 4 militants toulousains se sont rendus au Venezuela, grâce au « Cercle Venezuela » de Toulouse et à ses contacts dans un quartier populaire de Caracas. Récit.
Le « barrio » de La Vega est un des nombreux quartiers pauvres de Caracas, fait de maisons en brique nue pour la plupart, accrochées à flanc de colline ou nichées au fond des vallons. A l’intérieur, la vie grouille, beaucoup de jeunes, d’adolescents, d’adolescentes souvent accompagnées de bébés. De la musique, très fort, qui s’échappe des boutiques, des logements, des minibus-taxi lorsque les klaxons ne la recouvrent pas. Le genre de quartier que les guides de voyage bien-intentionnés recommandent fortement d’éviter… Nous avions pourtant le sésame pour y circuler sans encombre : être les hôtes du « Gordo (le gros) Edgar ». La cinquantaine, ventru mais costaud, Edgar Pérez est un des piliers communautaires de La Vega. Chez lui, c’est la maison de tout le monde, de la communauté. C’est la première chose qui marque dans ce quartier : l’importance et l’intensité de la vie communautaire. On est souvent les uns chez les autres, on passe, on discute, on mange, et on ne fait pas de manières.
Mais pour Edgar et sa famille, cela va encore plus loin. Son domicile sert de salle de classe, de cantine collective, d’école de percussions, d’émetteur pour une petite radio… On ne s’y ennuie pas souvent ! « Si on me donnait demain un appartement tout équipé dans le centre-ville, je refuserais ! Bien sûr, il nous manque beaucoup de choses, et nous nous battons pour les obtenir, mais j’ai besoin de cette vie collective », affirme Edgar. Depuis longtemps la « communauté » s’est organisée : pour l’obtention de l’eau, de l’électricité, le goudronnage de (certaines) rues… « On n’a pas attendu Chavez pour se regrouper et défendre nos intérêts, explique-t-il, même si depuis qu’il est au pouvoir, les choses sont beaucoup plus simples pour nous. » En effet, le quartier compte désormais un centre médical dont le médecin, cubain, est présent en permanence, un centre d’accès Internet gratuit, un supermarché d’Etat, Mercal, qui offre les produits de base à bon marché, la fourniture d’aliments destinés à la cantine populaire. Cette dernière fonctionne depuis deux ans grâce à 5 femmes, toutes bénévoles et fournit chaque jour 150 repas à des familles démunies. Et l’Etat distribue le matériel pédagogique (livres, vidéos…) qui sert de support aux « missions » d’éducation populaire, alors que leur réalisation est l’œuvre d’habitants du barrio.
Tout ça change le quotidien, évidemment. Mais ce qui marque encore davantage, peut-être, c’est cette impression que pour beaucoup de gens, et de jeunes en particulier, s’impliquer pour la communauté est quelque chose d’important, de valorisé : qui dans les « missions » d’éducation populaire, qui dans la musique, la vidéo, les médias alternatifs… Un « peuple conscient et qui avance ». Et comment ne pas ressentir un fort pincement « du côté du poumon » lorsque ces jeunes, improvisant des paroles sur la Guantanamera, reprennent en cœur au refrain « Venezuela socialista ! » Quand les pauvres renouent avec l’idéal socialiste, l’espoir est permis… Ce « socialisme », tous le revendiquent, jusqu’au président du Medef local qui a déclaré qu’il ne s’agit plus d’opposer socialisme et capitalisme, mais de « prendre le meilleur des deux systèmes »… Des sondages indiquent qu’une majorité de la population préfèrerait un système socialiste. Mais que met-on derrière le terme ? Pour nos amis de La Vega, ce serait plutôt sa version libertaire, sans Etat, par l’auto-organisation… Et sans Parti pour y arriver.
Quelques discussions à ce sujet se son prolongées tard dans la nuit… Alors, en débarquant à Caracas, nous aurions trouvé, enfin, le grand chantier du socialisme en marche ? Pas si simple, bien sûr. Un mot d’abord sur Chavez. Tous les quartiers populaires que nous avons vus proclament sur leurs murs leur soutien au Comandante. Et tous les partis se revendiquent de lui. Sauf ceux de l’opposition, mais on ne les entend plus : leur succession de défaites les a assommés. Il suffit d’écouter un dimanche l’émission Aló Presidente pour comprendre la popularité du bougre. Un vrai bateleur, qui n’hésite pas à pousser la chansonnette, glisser un compliment galant à une dame ou raconter une anecdote de sa vie de famille. Et puis, entre deux boutades, quelques cours d’Histoire, de géopolitique du pétrole, des citations de Victor Hugo, des conseils pour organiser des cercles citoyens, l’apologie d’un « socialisme du XXIème siècle qui reste à inventer ».
Mais surtout, pendant son émission, Chavez reçoit en direct les réclamations des simples gens, et le cas échéant, tance le ministre responsable, appelle les communautés à « secouer » leurs élus… Bref, il éduque, explique, incite les gens à développer l’auto-organisation, à ne pas dépendre de sa personne. Si c’est du populisme, on en redemande ! L’idéal de transformation socialiste de la société, même confus, même contradictoire avec les pratiques actuelles de la realpolitik du chef de l’Etat baigne en tous cas les consciences populaires. Sauf qu’entre le sommet et la base, entre Chavez et le peuple, toute une bureaucratie héritée de la « vieille IVème République » est toujours en place, et fait, pour le moins, de la résistance passive. C’est le leitmotiv des militants, des citoyens actifs, et même du président : il faut une « révolution dans la révolution ». Nous dirions, sûrs de notre bagage idéologique : « il faut une révolution »… En effet, on peut dire que pour quelqu’un qualifié par ses détracteurs de « danger pour la liberté et la démocratie », Chavez fait preuve d’une mansuétude étonnante. Tant vis-à-vis des putschistes d’avril 2002, que des organisateurs du lock-out patronal de décembre 2002-janvier 2003 dont aucun n’est en prison malgré la gravité des faits, ou encore vis-à-vis de certains éditorialistes qui n’ont pas hésité à appeler au coup d’Etat voire à l’assassinat du président de la République ! Il n’y a pas eu non plus d’épuration de l’Etat ni d’aucune institution, et les opposants pro-putschistes d’hier continuent tranquillement un travail de sabotage de l’intérieur.
Les conséquences ? Dans les campagnes, les terres promises par la Loi Agraire ne sont pas distribuées par des gouverneurs ou des juges liés à l’oligarchie, ou alors, ce sont les fonds qui ne sont pas débloqués. Chez les populations indigènes, dont la nouvelle Constitution Bolivarienne garantit le droit à la propriété des terres, les moyens manquent pour en établir le cadastre. Pourtant, les crédits ont été débloqués, mais « quelque chose » bloque… Autre exemple d’un processus à la fois limité et contradictoire : le cas de l’entreprise pétrolière nationale PDVSA. Nous avons rencontré des camarades liés à, ou proches de l’OIR, (groupe appartenant à notre IVème Internationale) à Puerto la Cruz, sur la côte caraïbe à 300 km à l’est de Caracas. Ils nous ont raconté comment, pendant la grève patronale de décembre 2002-janvier 2003 ils avaient remis en marche l’ensemble des installations, de la raffinerie au terminal portuaire, sans l’aide des cadres et des ingénieurs, très majoritairement grévistes, mais avec l’appui massif de la population la plus modeste. Et ça avait fonctionné, dans des conditions pourtant très difficiles. Aujourd’hui, alors que Chavez affirme vouloir développer la cogestion ouvrière comme moyen d’aller vers le socialisme, le ministre de l’énergie déclare que PDVSA est une entreprise trop stratégique pour être confiée aux travailleurs…
A côté de cela, le cas de l’entreprise « récupérée » INVEPAL fait figure de contre-exemple. Entreprise papetière en faillite, elle est devenue le symbole d’une remise en route par les travailleurs réussie. Bien sûr, ceux-ci ont pu compter sur le soutien inconditionnel de l’Etat, qui a exproprié l’usine, injecté des fonds et en est un des gros clients aujourd’hui pour l’achat de cahiers scolaires destinés aux Mercal. Evidemment, quelques semaines est un temps bien trop court pour prétendre parler comme un spécialiste. Ces quelques impressions et aperçus ont cependant eu un double mérite. Rendre espoir (« c’est possible, puisqu’ils le font ») dans les capacités des peuples, même écrasés par la pauvreté, à trouver leurs voies vers un monde plus juste, un « nouveau » socialisme. Et obliger à sortir des schémas qu’on attribue trop souvent au marxisme, oubliant que « rien ne remplace l’analyse des situations concrètes ».
Ce « processus révolutionnaire bolivarien » est riche de ses multiples expériences, nées de l’engagement massif de la population dans la vie politique. Il paraît également sérieusement menacé, de l’extérieur par la menace de l’impérialisme, toujours aux aguets, et de l’intérieur par cette bureaucratie qui le gangrène. Il sera passionnant de suivre, et pourquoi pas de participer, à la prochaine étape du mouvement, cette fameuse « révolution dans la révolution ».
Pierre Doury
publié dans: Le piment Rouge
Le « barrio » de La Vega est un des nombreux quartiers pauvres de Caracas, fait de maisons en brique nue pour la plupart, accrochées à flanc de colline ou nichées au fond des vallons. A l’intérieur, la vie grouille, beaucoup de jeunes, d’adolescents, d’adolescentes souvent accompagnées de bébés. De la musique, très fort, qui s’échappe des boutiques, des logements, des minibus-taxi lorsque les klaxons ne la recouvrent pas. Le genre de quartier que les guides de voyage bien-intentionnés recommandent fortement d’éviter… Nous avions pourtant le sésame pour y circuler sans encombre : être les hôtes du « Gordo (le gros) Edgar ». La cinquantaine, ventru mais costaud, Edgar Pérez est un des piliers communautaires de La Vega. Chez lui, c’est la maison de tout le monde, de la communauté. C’est la première chose qui marque dans ce quartier : l’importance et l’intensité de la vie communautaire. On est souvent les uns chez les autres, on passe, on discute, on mange, et on ne fait pas de manières.
Mais pour Edgar et sa famille, cela va encore plus loin. Son domicile sert de salle de classe, de cantine collective, d’école de percussions, d’émetteur pour une petite radio… On ne s’y ennuie pas souvent ! « Si on me donnait demain un appartement tout équipé dans le centre-ville, je refuserais ! Bien sûr, il nous manque beaucoup de choses, et nous nous battons pour les obtenir, mais j’ai besoin de cette vie collective », affirme Edgar. Depuis longtemps la « communauté » s’est organisée : pour l’obtention de l’eau, de l’électricité, le goudronnage de (certaines) rues… « On n’a pas attendu Chavez pour se regrouper et défendre nos intérêts, explique-t-il, même si depuis qu’il est au pouvoir, les choses sont beaucoup plus simples pour nous. » En effet, le quartier compte désormais un centre médical dont le médecin, cubain, est présent en permanence, un centre d’accès Internet gratuit, un supermarché d’Etat, Mercal, qui offre les produits de base à bon marché, la fourniture d’aliments destinés à la cantine populaire. Cette dernière fonctionne depuis deux ans grâce à 5 femmes, toutes bénévoles et fournit chaque jour 150 repas à des familles démunies. Et l’Etat distribue le matériel pédagogique (livres, vidéos…) qui sert de support aux « missions » d’éducation populaire, alors que leur réalisation est l’œuvre d’habitants du barrio.
Tout ça change le quotidien, évidemment. Mais ce qui marque encore davantage, peut-être, c’est cette impression que pour beaucoup de gens, et de jeunes en particulier, s’impliquer pour la communauté est quelque chose d’important, de valorisé : qui dans les « missions » d’éducation populaire, qui dans la musique, la vidéo, les médias alternatifs… Un « peuple conscient et qui avance ». Et comment ne pas ressentir un fort pincement « du côté du poumon » lorsque ces jeunes, improvisant des paroles sur la Guantanamera, reprennent en cœur au refrain « Venezuela socialista ! » Quand les pauvres renouent avec l’idéal socialiste, l’espoir est permis… Ce « socialisme », tous le revendiquent, jusqu’au président du Medef local qui a déclaré qu’il ne s’agit plus d’opposer socialisme et capitalisme, mais de « prendre le meilleur des deux systèmes »… Des sondages indiquent qu’une majorité de la population préfèrerait un système socialiste. Mais que met-on derrière le terme ? Pour nos amis de La Vega, ce serait plutôt sa version libertaire, sans Etat, par l’auto-organisation… Et sans Parti pour y arriver.
Quelques discussions à ce sujet se son prolongées tard dans la nuit… Alors, en débarquant à Caracas, nous aurions trouvé, enfin, le grand chantier du socialisme en marche ? Pas si simple, bien sûr. Un mot d’abord sur Chavez. Tous les quartiers populaires que nous avons vus proclament sur leurs murs leur soutien au Comandante. Et tous les partis se revendiquent de lui. Sauf ceux de l’opposition, mais on ne les entend plus : leur succession de défaites les a assommés. Il suffit d’écouter un dimanche l’émission Aló Presidente pour comprendre la popularité du bougre. Un vrai bateleur, qui n’hésite pas à pousser la chansonnette, glisser un compliment galant à une dame ou raconter une anecdote de sa vie de famille. Et puis, entre deux boutades, quelques cours d’Histoire, de géopolitique du pétrole, des citations de Victor Hugo, des conseils pour organiser des cercles citoyens, l’apologie d’un « socialisme du XXIème siècle qui reste à inventer ».
Mais surtout, pendant son émission, Chavez reçoit en direct les réclamations des simples gens, et le cas échéant, tance le ministre responsable, appelle les communautés à « secouer » leurs élus… Bref, il éduque, explique, incite les gens à développer l’auto-organisation, à ne pas dépendre de sa personne. Si c’est du populisme, on en redemande ! L’idéal de transformation socialiste de la société, même confus, même contradictoire avec les pratiques actuelles de la realpolitik du chef de l’Etat baigne en tous cas les consciences populaires. Sauf qu’entre le sommet et la base, entre Chavez et le peuple, toute une bureaucratie héritée de la « vieille IVème République » est toujours en place, et fait, pour le moins, de la résistance passive. C’est le leitmotiv des militants, des citoyens actifs, et même du président : il faut une « révolution dans la révolution ». Nous dirions, sûrs de notre bagage idéologique : « il faut une révolution »… En effet, on peut dire que pour quelqu’un qualifié par ses détracteurs de « danger pour la liberté et la démocratie », Chavez fait preuve d’une mansuétude étonnante. Tant vis-à-vis des putschistes d’avril 2002, que des organisateurs du lock-out patronal de décembre 2002-janvier 2003 dont aucun n’est en prison malgré la gravité des faits, ou encore vis-à-vis de certains éditorialistes qui n’ont pas hésité à appeler au coup d’Etat voire à l’assassinat du président de la République ! Il n’y a pas eu non plus d’épuration de l’Etat ni d’aucune institution, et les opposants pro-putschistes d’hier continuent tranquillement un travail de sabotage de l’intérieur.
Les conséquences ? Dans les campagnes, les terres promises par la Loi Agraire ne sont pas distribuées par des gouverneurs ou des juges liés à l’oligarchie, ou alors, ce sont les fonds qui ne sont pas débloqués. Chez les populations indigènes, dont la nouvelle Constitution Bolivarienne garantit le droit à la propriété des terres, les moyens manquent pour en établir le cadastre. Pourtant, les crédits ont été débloqués, mais « quelque chose » bloque… Autre exemple d’un processus à la fois limité et contradictoire : le cas de l’entreprise pétrolière nationale PDVSA. Nous avons rencontré des camarades liés à, ou proches de l’OIR, (groupe appartenant à notre IVème Internationale) à Puerto la Cruz, sur la côte caraïbe à 300 km à l’est de Caracas. Ils nous ont raconté comment, pendant la grève patronale de décembre 2002-janvier 2003 ils avaient remis en marche l’ensemble des installations, de la raffinerie au terminal portuaire, sans l’aide des cadres et des ingénieurs, très majoritairement grévistes, mais avec l’appui massif de la population la plus modeste. Et ça avait fonctionné, dans des conditions pourtant très difficiles. Aujourd’hui, alors que Chavez affirme vouloir développer la cogestion ouvrière comme moyen d’aller vers le socialisme, le ministre de l’énergie déclare que PDVSA est une entreprise trop stratégique pour être confiée aux travailleurs…
A côté de cela, le cas de l’entreprise « récupérée » INVEPAL fait figure de contre-exemple. Entreprise papetière en faillite, elle est devenue le symbole d’une remise en route par les travailleurs réussie. Bien sûr, ceux-ci ont pu compter sur le soutien inconditionnel de l’Etat, qui a exproprié l’usine, injecté des fonds et en est un des gros clients aujourd’hui pour l’achat de cahiers scolaires destinés aux Mercal. Evidemment, quelques semaines est un temps bien trop court pour prétendre parler comme un spécialiste. Ces quelques impressions et aperçus ont cependant eu un double mérite. Rendre espoir (« c’est possible, puisqu’ils le font ») dans les capacités des peuples, même écrasés par la pauvreté, à trouver leurs voies vers un monde plus juste, un « nouveau » socialisme. Et obliger à sortir des schémas qu’on attribue trop souvent au marxisme, oubliant que « rien ne remplace l’analyse des situations concrètes ».
Ce « processus révolutionnaire bolivarien » est riche de ses multiples expériences, nées de l’engagement massif de la population dans la vie politique. Il paraît également sérieusement menacé, de l’extérieur par la menace de l’impérialisme, toujours aux aguets, et de l’intérieur par cette bureaucratie qui le gangrène. Il sera passionnant de suivre, et pourquoi pas de participer, à la prochaine étape du mouvement, cette fameuse « révolution dans la révolution ».
Pierre Doury
publié dans: Le piment Rouge
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