Les travailleurs du pétrole de Puerto la Cruz qui avaient fait fonctionner seuls leur entreprise pendant la grève patronale de décembre 2002 [1] attendent toujours la cogestion promise par le président Chavez.
Dans la salle de controle de chargement
du brut. Puerto La Cruz, 20 juillet 2005.
« Tu vois, quand j’y repense, deux ans et demi après, ça me donne encore la chair de poule ! » Fidel Rivera, 50 ans montre ses avant-bras pour confirmer ses propos. Il évoque la grève patronale de décembre 2002-janvier 2003 qui avait pour but de déstabiliser et renverser le gouvernement du président vénézuélien Hugo Chavez Frias.Et ses yeux sont humides. « Au moment de la grève les gens des communautés ont accouru pour défendre la raffinerie et contrôler les entrées et sorties des camions-citernes. Tous les "humbles", les gens du peuple, étaient là pour défendre leur pétrole, leur entreprise PDVSA. [2] »
Fidel est aujourd’hui le responsable de la salle de contrôle de chargement de pétrole brut du terminal pétrolier de Puerto la Cruz, sur la côte est du Venezuela. « C’est le seul qui répondait quand j’appelais depuis la raffinerie. Pendant trois jours il est resté seul au poste, ici », raconte Hector Rincon, qui travaille aujourd’hui comme informaticien sur un pôle de distillation d’essence, à un ou deux kilomètres du port.
Dans cette zone cruciale de la production pétrolière, pilier économique du pays, la résistance au lock-out organisé par l’opposition « anti-chaviste » a été farouche. « C’est la seule raffinerie qui a continué à fonctionner dans tout le pays », poursuit Hector. Au milieu de la salle de contrôle où s’alignent les écrans d’ordinateurs et retentissent sonneries et appels radio, Fidel désigne les quatre jeunes hommes qui s’affairent : « La grève a été très massivement suivie par l’ensemble des cadres supérieurs, mais chez les employés subalternes et les ouvriers, très peu ont quitté leur poste. Ca a vraiment été une grève des classes supérieures. Ceux qui travaillaient n’étaient même pas payés, car les grévistes avaient saboté pas mal de systèmes informatiques, dont celui de la gestion des paies. Pourtant, eux qui ne travaillaient pas touchaient leur salaire ! Il a alors fallu remplacer les absents pour pouvoir continuer à faire fonctionner l’entreprise. Des étudiants déjà formés, ou près de l’être sont venus spontanément proposer leur aide, ce sont eux qui sont aujourd’hui toujours en poste, comme ces ‘muchachos’ »
Sur les môles aussi, il a bien fallu se débrouiller. Eudis Valdez est l’actuel « superintendant » du port. Il était alors machiniste. « Un pétrolier abandonné par son équipage était en difficulté. Avec d’autres camarades, j’ai pris un remorqueur pour le sortir de là ». Noir, rond de visage et de corpulence, âgé de 46 ans, il affiche 26 ans de travail dans l’entreprise. « Ça a été un moment fort, mais en même temps très difficile. J’ai reçu des menaces de mort, des coups de téléphone directement chez moi. On me disait : ‘on sait qui tu es et où tu habites, on va tu tuer, on va tuer ton fils’. Mais à ce moment, la solidarité entre nous était très forte. D’autres camarades ont été menacés, mais on n’en tenait pas compte. Il a fallu gérer aussi des cas de sabotage, des moteurs de remorqueurs cassés, du sable avait été jeté dans certaines parties... ».
Dans la tour de contrôle, Fidel explique : « la raison d’être de ces installations est d’exporter le pétrole, brut en ce qui nous concerne, ou raffiné pour les autres môles. Or l’opposition faisait courir les pires informations, fausses, sur la situation. Ils effrayaient les pilotes des tankers, et aucun ne voulait entrer pour recevoir sa cargaison. Et nous avions atteint les limites de nos capacités de stockage, ce qui obligeait à diminuer toute la production en amont : extraction, raffinerie. Il a fallu que des camarades aillent chercher le capitaine d’un bateau, le convainquent de venir voir par lui-même, pour que le premier pétrolier entre enfin au port. C’était le Josefa Camejo, du nom d’une héroïne de l’Indépendance... »« Je crois qu’on peut être très fiers de ce qu’on a fait. Les cadres nous pensaient incapables de faire fonctionner les installations. En réalité, on sait les faire marcher mieux que personne », raconte, ému lui aussi, Miguel Campos, la trentaine et 6 ans « de boîte », « et le reste on l’a appris. »
C’est ainsi que les 18 000 « grévistes » qui ont perdu leur emploi après trois mois de « grève » ont été remplacés par une « promotion » de ceux qui sont restés. De nombreux employés, à l’image d’Eudis sont passés de techniciens à ingénieurs, voire responsables de secteur. Une université maison a même été mise en place pour promouvoir cette ascension et consolider les connaissances des travailleurs volontaires.
« En réalité, pendant deux mois, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui ont fait fonctionner PDVSA, avec les rares cadres qui refusaient cette grève politique. » Hector, qui est aussi militant du syndicat Fedepetrol et d’un courant politico-syndical révolutionnaire, Opcion Clasista, revient sur cette expérience.
« A tous les niveaux : raffinerie, secteur portuaire, distribution, les ouvriers, les techniciens, avec l’aide massive des communautés populaires et des militaires de la troupe, restés eux aussi massivement fidèles au ‘processus’ lancé par Chavez, ont de fait géré et sauvé de la catastrophe économique la grande entreprise nationale PDVSA. Nous avons vécu deux mois de gestion ouvrière. Et dans des conditions particulièrement difficiles. Pourtant, le ministre de l’Energie a déclaré récemment que l’industrie pétrolière, comme élément stratégique de notre économie nationale, ne pouvait être laissée aux mains des seuls travailleurs. Il a catégoriquement rejeté l’idée de cogestion ouvrière de l’entreprise. »
C’est pourtant sous l’impulsion de Hugo Chavez lui-même que cette idée a été inscrite comme un modèle à développer et à étendre. Des entreprises en faillite ont ainsi été « récupérées » par leurs propres travailleurs, comme l’entreprise papetière Venepal, devenue Invepal, ou la fabrique de valves destinées à l’industrie pétrolière Inveval.
Numa Lozada est ingénieur chimiste, cadre supérieur « sans poste fixe » pour le moment : « c’est une mesure de rétorsion. Il reste encore une nombreuse bureaucratie au sein de l’entreprise, toujours opposée à la politique de l’actuel gouvernement. Certains continuent à détourner des fonds, à arranger des concessions ou des partenariats avec des entreprises étrangères qui ne respectent pas les normes fixées par la loi en termes de royalties pour l’Etat et l’entreprise PDVSA. Et ils continuent à mener une répression interne. Beaucoup de camarades ont été mutés arbitrairement à l’autre bout du pays, certains sont en cours de licenciement pour des motifs fallacieux. »
Dans son cas, c’est sa participation active à la remise en route de l’entreprise, et ses sympathies pour Opcion Clasista, révélées lors de la « grève » qui lui ont valu, selon lui, cette « mise au placard ». « Beaucoup d’employés ont été licenciés pour avoir participé à cette grève de sabotage, poursuit-il. Pourtant, on a proposé à ceux qui voulaient y renoncer de réintégrer leur poste, ce que certains ont fait. En échange, près de 10 000 embauches ont été réalisées. Il y a un certain renouveau du personnel, mais la bureaucratie est toujours là, à PDVSA comme au ministère de l’Energie, et les principaux fomenteurs du lock-out n’ont jamais été inquiétés. Il resterait beaucoup de ménage à faire. Comment peut-on faire une révolution si on laisse en place les mêmes personnes qui étaient les bénéficiaires du régime précédent ? »
Cependant, tous les travailleurs rencontrés, ouvriers, employés de bureau, ingénieurs ou techniciens sont unanimes sur un point : « Avant, la hiérarchie était très verticale », confie Yoana Morales, jolie métisse de 28 ans (« et célibataire ! », précise-t-elle avec un sourire enjôleur). « On recevait des ordres qu’il fallait exécuter sans discuter. Maintenant, on peut discuter librement avec ses supérieurs, l’ambiance est beaucoup plus détendue, il y a beaucoup moins de pression. » « Oh, moi, je ne me mêle pas de trucs politiques, lance un autre, timidement. Je fais mon travail, et puis c’est tout. » Comme il l’a fait tous les jours de 7 à 20 heures pendant les deux mois de la « grève ».
Acte très politique s’il en est. « Mais c’est vrai qu’on travaille mieux maintenant qu’avant décembre 2002. On fait de temps en temps des assemblées, et les chefs tiennent davantage compte de notre avis. » « Et puis, ajoute Hector, les gens ne se laissent plus faire comme avant. Si un cadre se comporte mal, aussitôt une assemblée des travailleurs concernés se réunit, et obtient assez vite son remplacement. La solidarité et la combativité se sont renforcées. » « Le contrôle ouvrier, qu’est-ce que c’est ? » interroge Yoana « Ah, si c’est qu’on peut participer et qu’on prenne en compte l’avis de tous, alors je suis pour ! ». Comme presque toutes les personnes rencontrées.
Pourtant, PDVSA attend encore, comme le reste du pays, sa « révolution dans la révolution. »
Publié dans: Risal
NOTES:
[1] [NDLR] Consultez le dossier « Lock out & sabotage pétrolier » sur RISAL.
[2] [NDLR] Petróleos de Venezuela, l’entreprise pétrolière publique vénézuélienne.
[1] [NDLR] Consultez le dossier « Lock out & sabotage pétrolier » sur RISAL.
[2] [NDLR] Petróleos de Venezuela, l’entreprise pétrolière publique vénézuélienne.
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