«A Caracas, surtout, restez loin des ‘barrios'», ces quartiers pauvres qu'ailleurs on appelle favelas. C'est ce que tout visiteur qui, soucieux de se renseigner un peu sur le Vénézuela lira dans un guide touristique.
Lorsqu'un groupe d'Allemands s'est perdu dans le barrio de la Vega, ils ont bien failli le vérifier à leurs dépens. Il leur a pourtant suffi d'expliquer aux « malandros » qui les entouraient qu'ils étaient les hôtes du « Gordo negro que es comunista » (le gros Noir communiste), pour que la situation se détende et qu'on leur indique le chemin… Celui qui raconte cette histoire, c'est le « gordo », et ça le fait encore bien rigoler. Quelques minutes auparavant, il poussait la chansonnette, un très cubain dans les mains. Quelques sons cubains de la grande époque. On aurait dit un bon vieux papi du Buena vista social club.
Le « Gordo », c'est Edgar Pérez. La soixantaine, gros, c'est vrai, enfin dans le genre ventru et costaud. Noir, ou plutôt métis, comme la plupart des habitants des barrios. Une cicatrice qui court du sourcil à la joue, chauve, passablement édenté. Comme un pauvre, qu'il a toujours été. Communiste, pas tout à fait. Ou plutôt, il l'a été. Descendant d'une famille déjà très militante, ils s'est engagé très jeune dans la lutte armée, profitant de son air juvénile pour tromper la police. Il faut dire que la « parroquia » (paroisse, qui désigne en fait un quartier) de la Vega est depuis toujours un bastion de la militance radicale. « Dans les années 60, la lutte armée avait jusqu'à 800 militants à La Vega, et un très fort soutien populaire », affirme-t-il. Suite à une crue particulièrement destructrice, il doit quitter son quartier, avec un groupe de sinistrés comme lui. Ils s'installeront plus haut, toujours à La Vega, mais dans une zone promise à la construction de logements pour « classe moyenne supérieure ».
C'est ce qui deviendra Las Casitas, lieu qu'il habite maintenant « depuis… Coño ! 38 ans ! ». Parallèlement, son point de vue politique évolue. De marxiste-léniniste pur et dur, il va virer libertaire. Le déclic : un Basque, ex-curé devenu anarchiste (« un p… de mélange dans sa tête, que ça devait être, non ? ») qui bouscule ses certitudes. « Et puis, j'en avais marre du dogmatisme, de la ‘ligne juste' qu'on était persuadés d'avoir et de devoir ‘faire passer au peuple'. » Il quitte la lutte armée, et commence dans son nouveau quartier un travail culturel : sport, musique, théâtre. « Les premiers à participer au groupe de théâtre, c'étaient des malandros, des trafiquants. Ils faisaient leurs trucs, mais dans le projet culturel, ils étaient là, c'étaient les plus sérieux ».
Depuis, c'est à travers la culture, le « travail communautaire » qu'il construit peu à peu son Utopie. Et toute sa famille avec lui : femme, enfants, tous sont des « travailleurs sociaux » comme ils se définissent. Et leur maison est devenue celle de la communauté : cantine collective au rez-de-chaussée, salle de cours et dortoir pour les visiteurs qui affluent des quatre coins du monde a l'étage.
Nos idéologies étaient importées d'Europe, où on a bien vu que les modèles ne marchent pas, le ‘socialisme réel' des pays de l'Est, c'est un échec. Alors, on a retrouvé nos penseurs américains : Bolivar, Ezequiel Zamora, et beaucoup d'autres. Aujourd'hui, je me définis comme un libertaire, mais pas un dogmatique. Un libertaire caribéen. » Que signifie cette étrange accolade ? « Nous avons notre propre culture, qui nous vient de l'héritage indigène, des Noirs déportés, de l'Europe aussi, mais surtout de 500 ans de lutte des opprimés d'ici. Un enterrement chez nous ne ressemble pas à un enterrement en Europe. Ici, c'est presque une fête, les personnes s'y préparent comme pour aller à une grosse fiesta. C'est comme ça, nous avons hérités des Noirs cette capacité à pleurer, mais aussi à rire, et à rire beaucoup.
Lorsque l'on fait une fête, du théâtre, de la musique, une célébration, on se retrouve, on vit ensemble, on soude une communauté. Et comme ça on fait aussi de la politique. Parce que quand on avance tous ensemble sur des projets, la conscience des gens avance aussi. C'est ce qui fait notre force. Chavez, on le soutient parce qu'il est du peuple, pour de bon, et que pour l'instant il nous défend, mais notre travail a commencé bien avant lui. On n'est pas des chavistes fanatiques, la Constitution nous a permis de grandes avancées, mais elle a aussi ses limites et ses pièges. Pourtant, moi qui suis contre l'Etat, je me suis battu, lors du coup d'Etat [d'avril 2002] pour défendre cet Etat. Moi qui suis pour l'horizontalité, je peux être très vertical si demain on tente quelque chose pour renverser Chavez et arrêter notre processus ! » Et si « on » tue le Président ? « Précisément, si on construit à partir de la base, le mouvement continuera, même sans Chavez.
Notre force, c'est notre nombre, nos liens, notre conscience construite ensemble, et ça, aucune armée au monde ne pourra le détruire ! »
Lorsqu'un groupe d'Allemands s'est perdu dans le barrio de la Vega, ils ont bien failli le vérifier à leurs dépens. Il leur a pourtant suffi d'expliquer aux « malandros » qui les entouraient qu'ils étaient les hôtes du « Gordo negro que es comunista » (le gros Noir communiste), pour que la situation se détende et qu'on leur indique le chemin… Celui qui raconte cette histoire, c'est le « gordo », et ça le fait encore bien rigoler. Quelques minutes auparavant, il poussait la chansonnette, un très cubain dans les mains. Quelques sons cubains de la grande époque. On aurait dit un bon vieux papi du Buena vista social club.
Le « Gordo », c'est Edgar Pérez. La soixantaine, gros, c'est vrai, enfin dans le genre ventru et costaud. Noir, ou plutôt métis, comme la plupart des habitants des barrios. Une cicatrice qui court du sourcil à la joue, chauve, passablement édenté. Comme un pauvre, qu'il a toujours été. Communiste, pas tout à fait. Ou plutôt, il l'a été. Descendant d'une famille déjà très militante, ils s'est engagé très jeune dans la lutte armée, profitant de son air juvénile pour tromper la police. Il faut dire que la « parroquia » (paroisse, qui désigne en fait un quartier) de la Vega est depuis toujours un bastion de la militance radicale. « Dans les années 60, la lutte armée avait jusqu'à 800 militants à La Vega, et un très fort soutien populaire », affirme-t-il. Suite à une crue particulièrement destructrice, il doit quitter son quartier, avec un groupe de sinistrés comme lui. Ils s'installeront plus haut, toujours à La Vega, mais dans une zone promise à la construction de logements pour « classe moyenne supérieure ».
C'est ce qui deviendra Las Casitas, lieu qu'il habite maintenant « depuis… Coño ! 38 ans ! ». Parallèlement, son point de vue politique évolue. De marxiste-léniniste pur et dur, il va virer libertaire. Le déclic : un Basque, ex-curé devenu anarchiste (« un p… de mélange dans sa tête, que ça devait être, non ? ») qui bouscule ses certitudes. « Et puis, j'en avais marre du dogmatisme, de la ‘ligne juste' qu'on était persuadés d'avoir et de devoir ‘faire passer au peuple'. » Il quitte la lutte armée, et commence dans son nouveau quartier un travail culturel : sport, musique, théâtre. « Les premiers à participer au groupe de théâtre, c'étaient des malandros, des trafiquants. Ils faisaient leurs trucs, mais dans le projet culturel, ils étaient là, c'étaient les plus sérieux ».
Depuis, c'est à travers la culture, le « travail communautaire » qu'il construit peu à peu son Utopie. Et toute sa famille avec lui : femme, enfants, tous sont des « travailleurs sociaux » comme ils se définissent. Et leur maison est devenue celle de la communauté : cantine collective au rez-de-chaussée, salle de cours et dortoir pour les visiteurs qui affluent des quatre coins du monde a l'étage.
Nos idéologies étaient importées d'Europe, où on a bien vu que les modèles ne marchent pas, le ‘socialisme réel' des pays de l'Est, c'est un échec. Alors, on a retrouvé nos penseurs américains : Bolivar, Ezequiel Zamora, et beaucoup d'autres. Aujourd'hui, je me définis comme un libertaire, mais pas un dogmatique. Un libertaire caribéen. » Que signifie cette étrange accolade ? « Nous avons notre propre culture, qui nous vient de l'héritage indigène, des Noirs déportés, de l'Europe aussi, mais surtout de 500 ans de lutte des opprimés d'ici. Un enterrement chez nous ne ressemble pas à un enterrement en Europe. Ici, c'est presque une fête, les personnes s'y préparent comme pour aller à une grosse fiesta. C'est comme ça, nous avons hérités des Noirs cette capacité à pleurer, mais aussi à rire, et à rire beaucoup.
Lorsque l'on fait une fête, du théâtre, de la musique, une célébration, on se retrouve, on vit ensemble, on soude une communauté. Et comme ça on fait aussi de la politique. Parce que quand on avance tous ensemble sur des projets, la conscience des gens avance aussi. C'est ce qui fait notre force. Chavez, on le soutient parce qu'il est du peuple, pour de bon, et que pour l'instant il nous défend, mais notre travail a commencé bien avant lui. On n'est pas des chavistes fanatiques, la Constitution nous a permis de grandes avancées, mais elle a aussi ses limites et ses pièges. Pourtant, moi qui suis contre l'Etat, je me suis battu, lors du coup d'Etat [d'avril 2002] pour défendre cet Etat. Moi qui suis pour l'horizontalité, je peux être très vertical si demain on tente quelque chose pour renverser Chavez et arrêter notre processus ! » Et si « on » tue le Président ? « Précisément, si on construit à partir de la base, le mouvement continuera, même sans Chavez.
Notre force, c'est notre nombre, nos liens, notre conscience construite ensemble, et ça, aucune armée au monde ne pourra le détruire ! »
Pierre Doury
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