Une tautologie absurde

Eclairage sur le traitement médiatique du cas RCTV et des nationalisations au Venezuela
Par Romain Migus

L'année 2006 avait très mal commencé en ce qui concerne le traitement médiatique de la Révolution Bolivarienne par les media français. Souvenons nous qu'il y a un an, le journal Libération avait pris la tête en Europe d'une campagne internationale calomnieuse qui visait à faire du président Chavez un antisémite notoire.


On aurait pu s'imaginer que les media internationaux allaient en cette nouvelle année mettre un bémol dans leurs offensives médiatiques. En effet, l'année 2006 avait, en revanche, plutôt bien fini pour la gauche latino-américaine. Les victoires de Daniel Ortega et Rafael Correa au Nicaragua et en Equateur et le triomphe sans appel de Hugo Chavez au Venezuela consolidaient le processus de construction d'une autre Amérique Latine. Le choix des Peuples de ces pays ne fut entaché d'aucun soupçon de fraude. On pouvait alors s'attendre à un peu plus de respect de la volonté populaire en Amérique Latine de la part des entreprises de communication internationales.


Il n'en fut rien ; et l'année 2007 commence de la même manière que l'année 2006 : par un traitement mensonger de la réalité vénézuélienne. Il ne s'agit cette fois pas d'une campagne ciblée mais de la création de deux matrices d'opinion que nous pouvons résumer comme telle: 1) La Nationalisation de la compagnie de télécommunication CANTV. 2) Le non renouvellement de la concession à la chaîne privée Radio Caracas Télévision (RCTV).


Le traitement partial dévalorisant volontairement, ou par omission (ce qui pour un journaliste revient au même), certains faits de la réalité vénézuélienne nous conduit à élaborer l'éclairage suivant afin que le lecteur français puisse se faire une opinion par lui même sur ces deux sujets.


  1. La Nationalisation de CANTV.


La Compagnie Anonyme Nationale Téléphone du Venezuela (CANTV) a été fondée en 1930 par l'entrepreneur Felix Guerrero. En 1950, le gouvernement d'alors entreprend de la nationaliser. Chemin tortueux qui durera plus de 20 ans. En 1973, la CANTV devient une compagnie publique. 18 ans plus tard, le gouvernement corrompu de Carlos Andres Perez annonce sa privatisation, se maintenant ainsi dans la ligne du FMI et du Consensus de Washington, qui avaient été directement responsables, deux ans auparavant, du "Caracazo" et de sa terrible répression. (1)i Il vend un paquet de 40% d'actions à Verizon Comunications (anciennement GTE).


En avril 2006, le magnat mexicain Carlos Slim (2)ii, se montre intéressé pour racheter les actions de Verizon (28.7% du capital) et ainsi prendre le contrôle de la CANTV. Le 15 août 2006, le président Chavez annonce lors d'un discours la possibilité que le gouvernement nationalise la compagnie de télécoms. A Wall Street, l'impact de cette déclaration se fait sentir mais reste modéré. Dans le même temps, le gouvernement ne donne pas son aval pour la transaction Slim-Verizon.

En pleine campagne présidentielle, plusieurs manifestations de retraités et de salariés de la CANTV vont se dérouler en protestation contre le non paiement des retraites et de la cotisation à une police d'assurance de la part de l'entreprise de télécommunications. En effet, malgré le fait que le Tribunal Suprême de Justice ait ordonné en juillet 2005 à la CANTV de payer, la direction méprise le jugement. Les manifestants demandent alors au gouvernement de nationaliser la CANTV et se déclarent prêts à en assumer la cogestion, se référant ainsi aux diverses expériences déjà exercées dans ce domaine par le gouvernement bolivarien (Invepal, Inveval,…).


Le 9 janvier 2007, durant le discours de présentation de son nouveau gouvernement, Hugo Chavez annonce la re-nationalisation de la CANTV. La machine médiatique internationale s'affole au fur et à mesure que le cours de l'action de la CANTV chute.


Précisons d'emblée qu'il ne s'agit pas d'une expropriation sans indemnisation. Le gouvernement étudie encore le moyen par lequel il va récupérer le contrôle de la compagnie. Vraisemblablement il ne s'agira pas non plus d'une expropriation avec indemnisation inscrite dans le cadre de la loi "d'expropriation pour cause d'utilité publique ou sociale". (3)iii Le plus probable est que le gouvernement rachètera au cours en vigueur, les actions des compagnies étrangères qui sont majoritaires dans l'entreprise. Cette mesure, très modérée, n'affectera pas les investisseurs et petits porteurs nationaux. Le nouveau ministre des Finances, Rodrigo Cabezas précise sur le devenir de la CANTV que le gouvernement "cherche à construire un modèle de participation avec les travailleurs, et CANTV en sera un point de départ" (4)iv

On est donc bien loin d'une confiscation par l'Etat des biens de compagnies étrangères, arme au poing et couteau entre les dents, comme le lecteur ou spectateur français pourrait se l'imaginer croyant de bonne foi les manipulations des entreprises de communication internationales.

Et pourtant, lorsque l'on se plonge dans les entrailles de la CANTV, on ne peut que s'étonner que le gouvernement bolivarien n'ait pas annoncé cette mesure avant.



Les véritables propriétaires de la CANTV


La CANTV représente 70% des appels nationaux et 42% des appels internationaux par téléphonie fixe. A travers son actionnaire majoritaire, Verizon, la compagnie possède une des trois marques de téléphonie portable que compte le Venezuela. La compagnie de télécommunications représente 83% des connexions Internet du pays. D'autre part, la CANTV est l'entreprise chargée du transfert des données électorales au CNE lors des votes sur les machines électroniques. Pour l'élection présidentielle, l'Etat a du débourser 27 milliards de bolivar (10 millions d'euros) pour employer la CANTV à cette fin.


En dépit de l'importance capitale du secteur des télécommunications pour le développement et la sécurité nationale, l'actionnaire principal est basé aux Etats-Unis, un pays qui a tenté de renverser le gouvernement bolivarien par deux fois, et qui continue son offensive déstabilisatrice contre le Venezuela. Certes, le fait qu'une entreprise soit basée dans un pays n'implique pas forcement une collusion avec son gouvernement. Cependant, cette affirmation est mise en doute par la composition du conseil d'administration de cette grande multinationale étasunienne.


La littérature sur les va-et-vient entre l'administration publique et les conseils d'administration des grandes entreprises aux Etats-Unis est assez riche. Dans le cas de l'actionnaire majoritaire de la CANTV, l'exemple est éclairant. Prenons ainsi la direction et le conseil d'administration de Verizon en 2002 et aujourd'hui.


Au début des années 2000 (5)v, la présidence de Verizon était confiée à Charles R. Lee, entre autre, membre du conseil consultatif sur la Sécurité Nationale en matière de Télécoms du président Georges W. Bush.

Au conseil d'administration de l'actionnaire majoritaire de la CANTV siégeaient, parmi d'autres, Helene L. Kaplan et Walter Shipley, membres par ailleurs du conseil d'administration d'Exxon Mobil, la seule entreprise pétrolière à avoir refusé de former une entreprise mixte avec PDVSA. On y trouvait aussi Robert Daniel, administrateur de Shell, ainsi que John Snow, ancien Secrétaire au Trésor de George W. Bush. Le Département du Trésor est en lien avec tous les services de renseignement US pour condenser l'information liée à la politique économique étasunienne dans le monde.


Les chaises musicales ont depuis tourné. Plus récemment, au conseil d'administration se trouve toujours Walter Shipley (celui-ci étant devenu un des directeur d'Exxon Mobil) et John Snow, mais aussi Fran Keeth, vice-présidente de Shell (6)vi, parmi d'autres dont les liens avec d'autres multinationales sont moins significatifs dans la relation avec le Venezuela.


La direction de l'entreprise nous révèle d'autres promiscuités inquiétantes pour la souveraineté du pays bolivarien (7)vii.


Le vice président exécutif n'est autre que William P. Barr, l'ancien Attorney General -procureur général - (1991-93) nommé par George H. W. Bush, le père de l'actuel président. Son passé dans l'administration publique n'a pas commencé avec sa carrière dans la justice puisqu'il fut conseiller du président Reagan (1982-83) pour la Politique intérieure.


Lowell C. McAdam, président de Verizon Wireless, une branche du groupe Verizon, est un ancien membre du Groupe d'ingénieurs de la US Navy.


Thomas J. Tauke, vice président chargé de la communication est un ancien élu républicain au Congrès des Etats-Unis (1979-91). Durant cette décennie passée au service explicite de la Nation étasunienne, Tauke fut tour à tour membre des comités du Congrès pour les Télécommunications, pour l'Education, pour le Travail, pour le Commerce et l'Energie. C'est dire s'il connaît le Venezuela, 3e exportateur de pétrole vers les Etats-Unis.


Doreen A. Toben, vice présidente exécutive chargée des finances a été élue le 14 avril 2004 au Conseil d'Administration du New York Times. Connu pour ses attaques contre le gouvernement bolivarien, le New York Times critiqua durement le choix du président á propos de la nationalisation de CANTV. (8)viii


Comme on peut le voir, une grande partie des hauts responsables de Verizon, actionnaire principal de la CANTV, entretien une relation plus qu'étroite avec les pouvoirs médiatiques, politiques ou énergétiques des Etats-Unis qui déterminent les choix stratégiques (ou les légitiment dans le cas des media) de la grande nation du nord. En bref, l'Empire étasunien occupait depuis 25 ans une place de choix dans une entreprise clé pour la souveraineté du Venezuela.


Récemment, Verizon (ainsi que AT&T et BellSouth) fut mis en cause aux Etats-Unis pour avoir espionné des millions de citoyens de ce pays pour le compte de la NSA dans le cadre du Patriot act lancé par le président George W. Bush après le 11 septembre. (9)ix


Il existe de forts soupçons pour que l'opérateur américain ait fait de même au Venezuela, servant ainsi les intérêts de la Maison Blanche mais aussi, et surtout, celui des multinationales pétrolières ou de celles appartenant au complexe militaro-industriel, en raison de leurs liens avec certains hauts responsables de Verizon. Le président Chavez s'est même fait l'écho de ces manipulations en suggérant que la CANTV espionnait jusque dans son propre bureau. (10)x


Peu intéressé par le danger que représentait la CANTV pour une nation souveraine, l'ancien candidat à la présidence, Manuel Rosales a critiqué la nationalisation parce qu'elle "donnera [à Chavez] le contrôle d'Internet et de la transmission des données, surtout en période électorale" (11)xi. Passons sur le fait que Chavez n'ait pas besoin de nationaliser CANTV pour triompher à un processus électoral. En revanche, la main mise d'une entreprise liée aux intérêts des Etats-Unis sur Internet, la transmission de données, le contrôle des communications au Venezuela ne semble pas inquiéter celui qui prétendait vouloir gouverner pour "26 millions de Vénézuéliens."



Souveraineté "télécommunicationnelle"


La nationalisation de CANTV coïncide avec la création d'un nouveau Ministère des Télécommunication, à la charge de l'ancien directeur de la Commission Nationale des Télécommunications-CONATEL (et ancien ministre de l'Intérieur), Jesse Chacon.


Le ministre a annoncé le retour à une souveraineté en matière de télécommunications, puisque le Conseil National des Technologies de l'Information, l'entreprise publique décentralisée CVG-Telecom, CONATEL fusionneront dans ce nouveau ministère, qui aura aussi la responsabilité du futur satellite vénézuélien construit en partenariat avec la Chine ; Jesse Chacon précisant que CONATEL gardera son caractère autonome.


La nationalisation de la CANTV permettra aussi d'étendre le réseau téléphonique à toutes les zones du pays, y compris les plus pauvres ou les plus éloignées des centres urbains, laissées dans un no man´s land communicationnel par les entreprises privées avides de rentabilité.


Alors que dans de nombreux endroits du pays, "passer un coup de fil" supposait le déplacement à la ville la plus proche, la nationalisation de ce secteur permettra enfin à ces nombreux citoyens de ne plus considérer l'appareil téléphonique ou Internet comme un privilège social.


Dans les rédactions des media de communication commerciaux, vénézuéliens et internationaux, on continue de s'inquiéter pour la chute vertigineuse de l'action CANTV à Wall Street.



  1. Le non renouvellement de la concession à RCTV.


RCTV est une des propriétés de 1 Broadcasting Caracas (1BC), entreprise fondée en 1930 par William H. Phelps, homme d'affaire étasunien vivant à Caracas. En 1953, durant la dictature de Pérez Jimenez, naît la chaîne de télévision RCTV, qui a l'immense privilège historique d'avoir diffusé la première telenovela au Venezuela. 1BC est reprise par le gendre de Phelps, Marcel Granier, qui sut très bien manœuvrer dans les coulisses de la démocratie corrompue de la IVe république pour faire progresser l'entreprise de son beau père. Tout allait pour le mieux lorsqu'en 1998, le Peuple vénézuélien, las du fossé existant entre son quotidien et les clichés idylliques des novelas, porta au pouvoir un président qui prônait la rupture avec le passé.


Lorsque le président Chavez, annonce le 28 décembre dernier, dans un discours à l'Académie Militaire, que la concession expirante de la chaîne privée RCTV ne sera pas renouvelée, le mot d'ordre médiatique est unanime. C'en est fini de la liberté d'expression au Venezuela. Tous les media privés vénézuéliens se solidarisent avec leur confrère. Ils peuvent compter sur des renforts attendus. La Société Interaméricaine de Presse (dont le conseil d'administration ne regroupe que des propriétaires d'entreprise de communication) connu pour avoir soutenu les media opposés à Salvador Allende, Reporters Sans Frontières l'association "non" gouvernementale financé par la Etats-Unis via la NED, et la Freedom House dont l'ancien directeur n'est autre que James Woolsey, ancien patron de la CIA (Patrick Ackerman qui a pris sa relève est un membre de l'Albert Einstein Institution spécialisée dans les coup d'Etat soft (12)xii) vont tour à tour voler au secours "de la "liberté de la presse", voire de la liberté tout court, désormais ouvertement menacée par le dictateur Chavez.


Les media français ne sont pas en reste. Les Echos parlent "de la suppression de la licence de la chaîne de radiotélévision d'opposition RCTV" (13)xiii et Le Monde nous explique que "lors d'un discours prononcé le 28 décembre devant un auditoire militaire, le président Chavez, en uniforme, a annoncé que son gouvernement « ne tolérerait aucun média au service des putschistes, contre le peuple, contre la nation, contre la dignité de la République »". (14)xiv

L'oligarchie vénézuélienne, leurs conseillers et financiers de Washington, et leurs relais médiatiques internationaux exultent. Après tout, n'avaient-t-ils tous pas annoncé depuis 8 ans la fin de la liberté d'expression au pays de Bolivar ?



Les liens de 1BC avec le pouvoir de la IVe République


En 1987, le gouvernement du président d'alors Jaime Lusinchi (du parti Accion Democratica) décide de réguler le système d'obtention des concessions hertziennes pour les télévisons et radio nationales. Le nouveau règlement, paru dans la gazette officielle n°33.726 du 27 mai 1987, stipule dans son article 1 : "Les concessions pour la transmission et l'exploitation de chaînes de télévisions et fréquences de radio seront délivrées pour une période de 20 ans" et précise dans son article 4 :"Les concessions qui ont été délivrées avant la date du présent décret seront considérées valides par les termes établis dans l'article 1".

Comme on peut le voir, les 20 ans sont en passe de s'écouler. La concession délivrée à la chaîne RCTV par l'Etat prendra fin le 27 mai prochain. Le gouvernement vénézuélien ne supprime aucune licence ni ne ferme donc aucune chaîne de télévision, il exerce juste le pouvoir de ne pas renouveler la concession tel que l'établit la Loi. Les détracteurs du gouvernement bolivarien l'accusent de partialité dans son choix. Avant de démontrer que le choix du gouvernement n'est en rien une fermeture politique, il est bon de rappeler les connivences entre le groupe 1BC et le pouvoir d'alors quand à l'obtention des concessions.


Carlos Ball, alors directeur du journal "El diario de Caracas", propriété de l'entreprise 1BC nous remémore comment RCTV a obtenu sa concession du gouvernement de Lusinchi : "En mai 1987, j'étais directeur du Diario de Caracas, entreprise du groupe 1BC, et le président Jaime Lusinchi a imposé mon renvoi comme condition à la rénovation de la licence de transmission de RCTV. J'ai été renvoyé et la licence fut renouvelée pour 20 ans. Deux jours après mon renvoi, j'ai été déféré en justice au motif d'accusations inventées par le gouvernement. Le juge pénal, Cristóbal Ramírez Colmenares m'a dit au tribunal : "j'ai des instructions d'en haut". J'ai donc décidé d'émigrer. Le gouvernement ayant obtenu ce qu'il voulait, les chefs d'accusation furent levés." (15)xv


A cette époque, le journaliste du Diario de Caracas Rodolfo Schmidt fut incarcéré pour avoir écrit contre le gouvernement de Lusinchi. (16)xvi Apres deux mois d'emprisonnement, le gouvernement négocia sa libération contre l'arrêt des publications critiques de trois journalistes de gauche : Federico Álvarez, Alfredo Tarre Murci et l'ancien vice président José Vicente Rangel. La décision d'autoriser la concession à RCTV fut à la fois un enjeu politique et le produit de la connivence de l'entreprise 1BC avec le pouvoir d'alors.


On pourrait penser que Carlos Ball est un fervent révolutionnaire, adepte des idées qui ont donné naissance à la Révolution bolivarienne. Il n'en est rien. Membre de la fondation Héritage, think tank étasunien ultra-conservateur, Carlos Ball est un des fondateurs du Centre pour la divulgation de la Connaissance Economique (CEDICE), qui fut crée à Caracas en 1984 avec l'argent du Centre International pour l'Entreprise Privée (CIPE), une des branches du Fonds National pour la Démocratie (NED). La directrice du CEDICE, Rocío Guijarro, a signé le Décret Carmona lors du coup d'Etat d'avril 2002. Admirateur de Friedrich von Hayek, Carlos Ball est membre du CATO institute, think tank ultralibéral. Il ne s'agit donc pas d'un révolutionnaire bolivarien, mais d'un penseur de droite, écoeuré par les us et coutumes de la IVe République vénézuélienne.


Une censure politique ?


Les entreprises de communication vénézuéliennes et internationales, et les organismes liés à l'administration US (RSF, Freedom House) laissent croire à une fermeture politique de la chaîne RCTV. Comme nous venons de le voir, il s'agit en fait d'un non-renouvellement de la concession. Les seules chaînes qui furent fermées au Venezuela durant la dernière décennie ont été la chaîne publique VTV durant le coup d'Etat, et la chaîne communautaire Catia TV fermée par l'ancien maire putschiste de l'agglomération de Caracas, Alfredo Peña.


Les concessions délivrées par Lusinchi arrivent à leur terme et les chaînes Venevision et Vale TV, ainsi que 400 fréquences de radio vont continuer à émettre. Seul RCTV est concernée par le non renouvellement. En parlant de "fermeture" ou de "censure", les media commerciaux laissent entendre que le gouvernement étouffe arbitrairement un media qu'il n'a pas à sa botte. Grosso modo, selon cette affirmation, rien n'aurait changé depuis Lusinchi, sinon que l'entreprise 1BC n'aurait plus les faveurs de Miraflores. Or cette décision n'est pas un caprice totalitaire de l'Exécutif. Elle se base sur les multiples infractions à la Constitution et aux lois vénézuéliennes commises par RCTV.


Dès le début des années 80, le système politique vénézuélien est en crise. Le Pacte de Punto Fijo, qui a eu pour conséquence le partage du pouvoir entre deux partis durant 40 ans, est sévèrement remis en cause. L'influence de COPEI et AD s'éteint peu à peu. L'élection de Rafael Caldera (membre de COPEI qui se présentait sur une liste d'union indépendante) en 1994 et surtout celle de Hugo Chavez en 1998 marquent la fin de l'agonie de l'hydre bicéphale qui régnait sur le Venezuela depuis un demi siècle. Mais le vide politique laissé par les partis traditionnels a peu à peu été comblé par les média. Laissant de coté leur tâche d'informer, les media commerciaux vénézuéliens se sont transformés en véritable acteur politique. Lorsque se dessinent les contours de la Révolution Bolivarienne et que l'oligarchie se rend compte que Chavez n'est pas Lucio Gutierez, les media-partis vont être le fer de lance d'une opposition politique éparpillée et discréditée. Comme le note Thierry Deronne dans un article récent, "RCTV n´a cessé d´attenter contre les institutions démocratiques en incitant à la haine, à la violence, en participant activement à la préparation et à la réalisation du coup d´État sanglant d´extrême-droite du 12 avril 2002 contre le président Chávez. Tandis que le dictateur Carmona dissout toutes les institutions démocratiques et fait réprimer les partisans de Chávez, le directeur de RCTV, Marcel Granier, accourt au palais pour le féliciter et, de là, impose le black-out de la chaîne sur la résistance populaire. Certains journalistes démissionnent, comme Andrés Izarra, directeur de l´information. (…) En décembre 2002, RCTV appelle de nouveau à renverser le président Chávez, et se fait porte-parole quotidienne des militaires putschistes de la Plaza Francia puis des organisateurs du putsch pétrolier (remake de la grève des camionneurs contre Salvador Allende). " (17)xvii

Les media-partis jouent un rôle politique. Le droit à une information "véridique et impartiale, sans censure, (…) ainsi que le droit de réponse et de rectification si [la personne] est touchée par des informations inexactes ou offensantes" définie par la Constitution (18)xviii est systématiquement bafoué par les media commerciaux.

Nancy Snow, dans son livre Information War : American Propaganda, Free Speech and Opinion Control Since 9/11 qui analyse les stratégies de propagande mis en place depuis Reagan nous informe : "Le modèle fut inventé au début du gouvernement [de Reagan] : sélectionner de manière insidieuse une information macabre sur les ennemis étrangers, et imposer les gros titres. Si, après, des journalistes découvrent la supercherie, qu'est ce que ça change ? La vérité recevra bien moins d'attention que le mensonge originel, et de toute façon une autre vague de calomnies s'affichera déjà en une" (19)xix. Les media-partis vénézuéliens, ont fait de cet enseignement leur leitmotiv.

Durant la campagne du referendum révocatoire lancée par l'opposition pour révoquer le président Chavez, le paravent de la CIA, le mal nommé Fonds National pour la Démocratie (NED), va financer la constitution d'un plan de gouvernement de transition. Des représentants des partis et organisations politiques participeront à sa rédaction. Le comité directeur de ce projet alternatif compte 3 membres de Fedecamaras (le Medef vénézuélien), trois membres d'organisations "non" gouvernementales, un membre du syndicat jaune CTV, un membre de l'Eglise catholique, trois membres du CEDICE (voir plus haut), ainsi que le journaliste William Echeverria en représentation de… RCTV, alors qu'aucun parti politique n'est représenté dans ce comité.

Après la victoire de Chavez au referendum du 15 août, deux des "quatre cavaliers de l'apocalypse" comme les appelait Chavez (Venevision et Televen), vont atténuer leur ligne éditoriale. Elles resteront très critiques par rapport au gouvernement mais respecteront la Loi et la Constitution. Seule RCTV et Globovision (20)xx se maintiendront dans leur rôle de parti extrémiste aux mépris de la législation.

RCTV a violé de nombreuses fois l'article 58 de la Constitution. En effet, celui-ci souligne que "les enfants et adolescents ont le droit de recevoir une information en adéquation avec leur développement intégral". Cet article qui trouve son application dans la Loi Organique pour la Protection des Enfants et des Adolescents (LOPNA) et dans la loi de REsponsabilité SOciale à la Radio et à la TElévision (RESORTE) n'est pas pris en compte par la chaîne privée.

Vu de France, on peine peut-être à s'imaginer la puissance des messages diffusés par RCTV. Pour se faire une idée écoutons le témoignage de Oscar, militant révolutionnaire : "durant le lock out pétrolier, mon fils [de 8 ans] se réveillait souvent. Une nuit, il m'a dit : "Papa, j'ai peur !" Je lui ait demandé de quoi avait-il peur. Il m'a répondu : "que les chavistes viennent me tuer." Je lui ai expliqué que j'étais chaviste comme sa mère et que la télé disait des mensonges.". Une majorité d'enfant du quartier était dans le même cas que le fils d'Oscar. Ce qui a conduit des groupes de parents à s'organiser et porter plainte devant les organismes de défense de l'enfance.

En décembre 2004, fut votée la loi RESORTE. Celle-ci indique dans son article 29: "Les prestataires de services de radio et télévision seront sanctionnés par une suspension allant jusqu'à 72 heures lorsque les messages diffusés promeuvent, font l'apologie ou incitent à la guerre, aux troubles de l'ordre public, au délit, lorsque les messages sont discriminatoires ou portent atteinte à la sécurité de la Nation. (Art.29 §1)" (21)xxi

A ce titre, les nombreux appels de RCTV à protester contre le gouvernement, à inciter les vénézuéliens à ne pas participer aux élections législatives du 4 décembre 2005 ou encore lorsque de nombreux journalistes ou invités de la chaîne parlaient ouvertement de fraude avant les élections présidentielles du 3 décembre 2006, et appelaient les vénézuéliens à défendre leur vote… toutes ces situations auraient pu faire l'objet d'une sanction de la part du gouvernement. Qui plus est, l'article 29 de la loi RESORTE dans son alinéa 2 précise que dans le cas de récidive malgré les sanctions prévues dans l'alinéa 1, la loi autorise CONATEL à révoquer l'habilitation à émettre ou à révoquer la concession. Il ne s´agit évidement pas d´une mesure dictatoriale visant á museler la presse. Le Conseil Supérieur de l´Audiovisuel français (CSA) prévoit le même type de sanction pour des cas similaires (22)xxii.

Les multiples entorses à la loi RESORTE auraient pu déboucher sur une fermeture de la chaîne RCTV. Et pourtant, CONATEL n'a jamais tranché en faveur de cette option légale. RCTV n'a jamais été fermée, ni inquiétée, durant le temps où sa concession lui permettait de déstabiliser le gouvernement et l'Etat vénézuélien.

La décision de ne pas renouveler la concession à RCTV n'est pas un choix arbitraire. Elle s'appuie sur les nombreuses violations de la Constitution et des lois vénézuéliennes. La décision souveraine de ne plus attribuer de concession à RCTV vient rappeler à ceux qui bénéficiaient d'un statut spécial de par leur proximité politique avec les hautes instances du Pouvoir de la IVe République, que ce temps là est révolu et qu'ils doivent réapprendre à obéir aux lois.

Les 90% du spectre médiatique vénézuélien, aux mains de groupes de communication privés, restent de fervents critiques de la Révolution bolivarienne. RCTV, quant à elle, pourra dès le 28 mai prochain, continuer à émettre son venin par le câble puisque les transmissions par satellite ne relèvent pas d'une attribution par l'Etat.



CANTV et RCTV : Une tautologie absurde.

Le lecteur ou spectateur qui ne connaît le Venezuela qu'au prisme déformant du Monde et de Libération se trouve face à une tautologie absurde. En effet, les media avaient inventé une supposée fin de la liberté d'expression et de la propriété privée au pays créole (1er mensonge). Les cas RCTV et CANTV, tels qu'ils sont traités (2e mensonge) viennent illustrer le premier mensonge. De la même manière, on peut déduire du 2e mensonge la fin des libertés au Venezuela. La boucle semble bouclée. Les montages médiatiques et mensonges par omission ont contribué à créer une distance entre les actions menées par le gouvernement vénézuéliens et le récepteur des informations tronquées des entreprises de communications internationales.

Un seul détail vient troubler cette propagande néfaste et briser le cercle vicieux : la Vérité, sans mensonge et sans omission.

23/01/07


Notes:

ii(2) Propriétaire dans le même secteur de America Movil et Telmex (Telefonos de Mexico)


iii(3) "Loi d'expropriation pour cause d'utilité publique ou sociale", Gazette officielle n° 37.475, 01/07/02.


iv(4) J. Gregorio Yépez, "Gobierno debate nacionalizar a través de compra de acción", El Mundo, 11/01/07, p. 5.


v(5)Voir Geoffrey Geuens, Tous pouvoirs confondus : Etat, Capital et Media à l'ère de la mondialisation, EPO, 2003.


viii(8) Simon Romero, Clifford Krauss, "Venezuelan plan shakes investors", The New Times, 10/01/07 et Simon Romero, "Chávez Moves to Nationalize Two Industries”, The New Times, 09/01/07.


ix(9) Leslie Cauley, "NSA has massive database of Americans' phone calls", USA Today, 05/10/06. http://www.usatoday.com/news/washington/2006-05-10-nsa_x.htm


xi(11) "Rosales califica a Chávez de déspota", El Universal, 19/01/07.


xii(12) Voir Romain Migus, "Derrière le masque démocratique de l'opposition vénézuélienne", Risal, http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1965


xiv(14) Marie Delcas, "Hugo Chávez veut mettre au pas une télévision “putchiste”", Le Monde, 03/01/07.


xvi(16) « Excelencia en el periodismo » : Interview de Carlos Ball par Venezuela Analitica, septembre 1999. http://www.analitica.com/art/1999.06/excelente/00007.asp


xvii(17) Thierry Deronne, "Les pieds de Garbo", Le Grand Soir, http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=4624


xviii(18) Article 58 de la Constitution de la République Bolivarienne du Venezuela. Disponible en français sur le site du Cercle Bolivarien de Paris : http://cbparis.free.fr


xix(19) Cité par Eva Golinger, Bush Vs. Chávez, La guerra de Washington contra Venezuela, ed. Jose Marti, p. 125.


xx(20) Crée en 1995, la chaîne Globovision n'est pas concernée par le renouvellement de mai 2007. Sa concession expire en 2015.


xxi(21) "Loi de Responsabilité Sociale à la Radio et à la Télévision", Gazette officielle n°38.081, décembre 2004. Disponible en espagnol sur http://www.leyresorte.gob.ve/index.asp


CARACAS, SITUATION OUVERTE…

Chaussures produites dans une coopérative du NUDE Fabricio Ojeda.
Photo: Yannick Lacoste 2006


Par Bernard Chamayou

A propos du Vénézuela, on peut faire trois constatations simples mais fondamentales : c’est un pays où tout le monde peut manger à sa faim, gratuitement, où tout le monde peut se soigner, gratuitement, où tout le monde peut s’instruire, gratuitement.

Comment est-ce possible ? C’est au travers de l’analyse de la visite d’un quartier de Caracas que nous essaierons de répondre à cette question ; c’est à partir de là que nous nous poserons des problèmes plus généraux concernant le processus de la Révolution Bolivarienne. Ces interrogations sont posées de l’intérieur du processus, en solidarité profonde avec le peuple vénézuélien.


Noyau de Développement Endogène (NUDE)

- On parle peu de ce type de structure qui pourtant se développe et devient très important. « Noyau » parce que ce n’est qu’un début, « développement », parce qu’il s’agit du poids socio-économique croissant des coopératives, « endogène » parce qu’il faut utiliser les ressources locales de production, de formation et d’emploi.

Il s’agit donc d’établir une base économique locale dont la production est liée à la communauté du quartier, sous la forme de coopératives, à partir d’un projet soumis à la municipalité, dans le cadre d’une décentralisation, avec convergence des différentes « missions » mises en place par Chàvez, mais aussi des associations, des comités, des représentants de la communauté de quartier, du ministère de l’économie populaire, du secteur industriel, de différents spécialistes…

Ces « noyaux » se sont surtout développés sur la lancée des comités électoraux pour le référendum révocatoire d’août 2004, prévu par la constitution à mi-mandat présidentiel et obtenu par la réaction qui a essuyé une nouvelle et cuisante défaite. Des « unités de base » avaient été constituées par le gouvernement et les secteurs populaires sous forme de « patrouilles » de 900 000 volontaires et Chàvez a proposé que ces « bataillons de compagne » se transforment en « bataillons sociaux » pour appuyer les différentes « missions », les orienter et réclamer une transformation de l’Etat. Cela nous rappelle que chaque victoire du peuple, même sous forme électorale a été un formidable élément de radicalisation.

Récit.

- Au matin du 16 février 2006, un groupe de français est arrivé au Noyau de Développement Endogène (Nucleo de Desarollo Endogeno) Fabricio Ojeda, à l’ouest de Caracas, quartier de Catia. Dans la camioneta du ministère de l’information, en plus, un employé français du ministère chargé de l’organisation de la visite et une équipe video.

Revenons à notre visite : le « nucleo » Fabricio Ojeda, occupe un ancien dépôt de PDVSA (industrie du pétrole), société d’Etat présente dans le comité de gestion et principale source de financement. On y trouve une clinique populaire, proposant des soins gratuits pour tous, y compris pour les étrangers de passage… Il y en a 20 de ce type à Caracas ; l’objectif est qu’il y en ait 40 (200 pour l’ensemble du pays). Cela complète les missions « Barrio Adentro » qui reposent à trois niveaux sur la présence de médecins cubains directement dans les quartiers, et les « comités de santé » locaux eux aussi.

Autre secteur représenté : l’alimentation. Cette « mission » est la mission « Mercal » (14500 au Vénézuéla actiellement) : un supermarché ouvert à tous, où l’on trouve des produits entre 30 et 50% moins cher, approvisionnés par des coopératives de production. Des Mercal de gros, approvisionnent à la fois les supermarchés et les cantines populaires (4600 dans tout le pays) où l’on peut avoir un repas et un goûter gratuits chaque jour ; les gens inscrits sur des listes de quartier peuvent aussi recevoir gratuitement au Mercal des produits de première nécessité. Le réseau Mercal a aussi été conçu pour lutter contre la pénurie alimentaire que la droite peut déclencher, comme en décembre 2002 et janvier 2003, lors du sabotage de l’industrie pétrolière.

Ces différentes « missions » sont aussi un moyen de susciter l’auto-organisation et de contourner les pesanteurs bureaucratiques et la corruption. Deux coopératives ouvrières sont implantées dans le même lieu : une coopérative de textile composée de 128 employés, presque uniquement des femmes, anciennes femmes au foyer à qui la mission « Vuelvan Caras » a permis de suivre une formation continue suivie d’embauche ; le travail est organisé en 2/8 (bientôt en 3/8), le salaire dépend en partie de la production ; il existe une crèche publique (mission « Simoncito »).

Une coopérative de chaussures, davantage mixte, organisée sur les mêmes principes. Il n’y a pas d’organisation syndicale : « Pas la peine, ils sont tous propriétaires… », nous répond-on… Oui mais tous ouvriers aussi, un peu isolés, dans le cadre d’une économie de marché… Nous apprendrons d’ailleurs que, la semaine précédente, une grève avait éclaté: le comité de gestion prévoyait un dépôt de bilan…

L’intervention conjointe de dirigeants de PDVSA, et du ministère de l’économie populaire s’est soldée par le changement du comité de gestion, le renflouement financier et le maintien de l’entreprise.

- Quelles réflexions générales peut susciter une telle structure, au-delà de sa fonction sociale immédiatement perceptible ?
Elle représente un enjeu économique majeur : tout ce programme social est financé par la redistribution partielle de la rente pétrolière d’une économie pétrolière nationalisée dont l’Etat est le seul actionnaire. Pour Chàvez il s’agit explicitement du remboursement interne d’une dette contractée envers le peuple vénézuélien spolié, exclu, réduit à la misère pendant des décennies. Nous sommes donc dans le cadre d’une autre répartition des richesses… mais souvenons-nous que la répartition des richesses, même si elle a du jeu par rapport à la production des richesses, en est tributaire, c’est clair en cas de tension, de crise, d’affrontement ; elle est dépendante aussi de l’état du marché maintenu et, pour le pétrole, le cadre impérialiste exerce une pression directe, politique et économique, dont les grandes entreprises d’exploitation et de distribution sont les relais actifs avec une oligarchie (une « méritocratie » qui entend défendre ses privilèges).

L’économie vénézuélienne reste une économie capitaliste : comment passer du paiement d’une dette sociale à une production socialisée des richesses ? Peut-on vraiment construire le socialisme sans poser la question de la propriété privée des moyens de production et, en ce qui concerne l’industrie du pétrole, de sa maîtrise totale, socialisée elle aussi ?

Elle représente aussi un enjeu social : ce vaste mouvement d’intégration sociale répond à un fort niveau de mobilisation et à une politisation croissante du peuple vénézuélien ; il existe jusqu’à présent une interaction très forte entre la base et le sommet, entre les propositions gouvernementales (en particulier les missions) et les mouvements de fond des travailleurs et du peuple mais la question pourrait être formulée ainsi : comment combiner intégration sociale et transformation sociale ? On voit bien quel est l’enjeu politique : « Pouvoir du peuple », pouvoir « de tous pour tous » ? Oui, mais au-delà de l’effet d’annonce, sous quelles formes : directement ou indirectement? Localement ou globalement? Comment la décentralisation des lieux de pouvoir et d’activités populaires, comme les noyaux de développement endogènes, par exemple, se combine-t-elle avec la centralité du pouvoir politique ? S’agit-il simplement de réformer l’Etat ou de changer sa nature ? Le pouvoir du peuple qui s’exerce directement ça et là pourra-t-il devenir un véritable double pouvoir débordant les cadres proposés par Chàvez (comme lui-même semble le souhaiter) et capable de dénouer en sa faveur les affrontements majeurs encore à venir ?

Mise en place d’un complément de démocratie participative et active (« protagonica ») rééquilibrant la démocratie représentative, ou, par la généralisation de l’auto-organisation, processus de transition vers un véritable socialisme du XXIème siècle ? Ce qui se pose plus qu’en filigrane au Venezuela aujourd’hui c’est bien la question de ce que Trotsky appelait la « transcroissance » de la révolution.

“le Venezuela de Chávez” de Maurice Lemoine, paraît aux éditions Alternatives

Champ et contrechamp d’une révolution sans précédent

Ils sont tous lá ! Les voici, faufilés jusqu’á nous entre les mailles serrées de la guerre médiatique. Qui ? Ces corps de citoyen(ne)s, ces poitrines en sueur, cet humour infatigable d’un peuple méprisé, occulté par les grands médias. Aux antipodes d´un Monde ou d´un Libération perdus dans les règlements de comptes franco-français (Chávez = Castro, etc..), Maurice Lemoine travaille, enquête, rencontre, écoute loin des sentiers battus, accumule des images dans ses cartons. Résultat : un cahier de près de soixante-dix photos, accompagné de 74 pages d´explications.

La première photo déborde la couverture. C’est la commune de Caracas. Un peuple brandit une racine de manioc, un thermo á café, ses mains nues et pousse les gardes nationaux á défendre le président contre un coup d’Etat versaillais. Puis il y a tous ces corps surpris avant d’avoir pris la pose. Ce mélange de rire et de douleur sur le visage de la jeune indigène tendant son bras au vaccin. Les dents du garcon adossé aux planches brutes pour égrener un maïs qui lui appartient pour la première fois. Ce doigt sur la tempe de cette femme aux cheveux blancs au hasard d´un quartier populaire ("révoquer Chavez ? pas fou non ?”). La technique photographique exprime une solide méthode journalistique. Ce n’est pas l’individualité exotique arrachée au téléobjectif pour atterrir dans un hall de la FNAC. Encore moins l´illustration d´une commande idéologique imposée au "correspondant". C´est l’image née du temps. Elle ne nous montre pas l’individu mais la relation entre les êtres.

C´est la distance exacte, respectueuse du citoyen photographiant d’autres citoyen(ne)s entouré(e)s de leurs outils de travail, de leurs demeures pauvres aux tôles enchevêtrées, aux minces matelas de mousse, et de leurs rêves. Ici l’air est humide, les boeufs ont de l’eau jusqu’au poitrail, les femmes semblent parfois des sac d’os. Ces habitant(e)s profitent de l’objectif photographique pour nous interpeller - á travers une banderole hissée sur la terre occupée, un exemplaire de la Loi des Terres, ou la première récolte dans les mains ouvertes. Le regard, le visage, le corps sont tournés vers nous. Quand il écrit, par exemple, sur la réforme agraire Maurice Lemoine se fait l’écho des critiques populaires (2). Pas besoin de forcer le trait. Si les peuples font eux-mêmes la critique, pourquoi ne pas les écouter ? L´auteur photographie aussi les actions d’une opposition souvent violente et nous fait revivre l’Histoire á suspense, photographiant un Chavez “au visage marqué comme celui d’un boxeur” qui saute d’un hélicoptère pour rejoindre la multitude desarmée et reprendre avec elle les raffineries sabotées par la nomenklatura pétroliere.

Le 11 avril 2002 Maurice Lemoine, couché sur un pont de Caracas, prend une série de clichés qui démontent le prétexte visuel du coup d’Etat contre le président vénézuélien. Les télés du monde entier affirment alors que les chavistes tirent sur l’opposition. Ses photos prouveront au contraire qu’ils se défendent de francs-tireurs reclutés par la CIA et les putschistes... Le cahier photographique s’accompagne d’une enquête très fouillée de 74 pages sur les mesures sociales, chiffrées, datées, du gouvernement de Hugo Chávez, et met en lumière les ressorts de l’économie, les rapports sociologiques, les trajectoires politiques.

Ce texte nous explique le passé et le futur des images. De l’insurrection “nasserienne” menée en 1992 par un certain Hugo Chávez, fils d’instituteurs pauvres qui dès ses études de Sciences Politiques á l’Académie Militaire, avait écarté la ligne des “gorilles” façon Pinochet et prôné l’alliance progressiste civico-militaire... aux rencontres, quarante ans plus tard, du même Chávez, élu puis réélu Président de la République, avec ses homologues latinoaméricains, lorsque les peuples de l’Amérique Latine se réveillent en meme temps que le rêve d’unité de Simon Bolivar. Nourries de ce texte, les images révèlent un mouvement de fond, incarnent les ruptures et les décisions d’un peuple qui a trop pleuré et trop appris pour revenir en arrière. Ce que nous dit d´abord ce nouveau livre de Maurice Lemoine (3), c’est qu’aucune machinerie impériale, médiatique, militaire, ne peut arracher á un peuple sa dignité retrouvée, ce bonheur, cette fierté de se sentir enfin maître chez soi, de sortir de l’humiliation.

Face au journalisme d’imputation qui recycle á Paris le “totalitarisme chaviste”, ce qui frappe au Venezuela, c’est que les nombreuses critiques populaires sur la corruption, la bureaucratie d’un Etat encore hanté par un apartheid de quarante ans, s’accompagnent d’une confiance presque sereine dans le processus révolutionnaire. Non seulement Chavez a, en huit ans de gouvernement, largement confirmé ses convictions de démocrate (l´Organisation des Etats Américains, l’Union Européennne, l’Association des Juristes Latinoaméricains, la Fondation Carter sont unanimes á reconnaitre dans les présidentielles de décembre 2006 un processus “transparent, équitable, démocratique”) mais on accède ici au coeur de sa pensée politique : ce n’est qu’en développant la démocratie et la participation citoyenne á tous les échelons que la révolution avancera et s’approfondira.

Maurice Lemoine explique comment la démocratie représentative se renforce constamment á travers celle, participative, des conseils communaux, ces gouvernements locaux des communautés populaires ou les médias associatifs, clandestins avant la révolution, aujourd’hui instruments d’une parole libre, autonome et souvent critique. L’avant-dernière photo montre l’image la plus exacte d’une jeune télévision communautaire d’Etat (Vive TV). Une réunion de quartier á l’avant-plan, occupe presque toute l’image, la déborde. Dans le fond, simple appendice de sa parole, une caméra, un micro. Il n’est jamais trop tard pour apprendre du peuple, et inventer pour cela, la télévision rêvée par Armand Mattelard dans ses années chiliennes.

Jean-Luc Godard proposait aux cinéastes militants de se laisser envahir par le Vietnam ou par la Palestine plutôt que de les envahir á coups de clichés. Libre a chacun, aujourd’hui, de voyager au Venezuela pour y retrouver Lénine, Marcos, Trotsky ou Bob Marley. Mais n’est-il pas temps de nouer un autre rapport á l’Amérique Latine que celui de la “plus-value pour mon courant” ? Comme le conclut Maurice Lemoine, le socialisme participatif, indigène, nationaliste, républicain, bolivarien et chrétien qui s’invente au Venezuela est difficilement analysable et n’a pas de précédent.



Source: Blog de Thierry Deronne

(1) "Le Venezuela de Chávez", Éditions Alternatives, Paris 2006. 142 pages, 20 euros. www.editionsalternatives.com

(2) Lire M. Lemoine, "Terres promises du Venezuela", le Monde Diplomatique, octobre 2003. http://www.monde-diplomatique.fr/2003/10/LEMOINE/10634

(3) Lire aussi "Chávez presidente !", du même auteur, éditions Flammarion, 800 pages, 2005. Maurice Lemoine est spécialiste de l'Amérique latine, et rédacteur en chef du Monde diplomatique, auquel il collabore depuis 1984. Il a couvert tous les conflits d'Amérique centrale, la Colombie et le Venezuela (où il était présent lors du coup d'Etat d'avril 2002). Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Les cent portes de l'Amérique latine, éditions de l'Atelier, 1997, La Dette, roman de la paysannerie brésilienne (roman), L'Atalante, 2001, Amérique centrale : les naufragés d'Esquipulas, L'Atalante, 2002, Chavez, Présidente ! Flammarion, Paris, 2005

Le barrio de La Vega, exemple de l'auto organisation populaire

El Gordo et sa famille Photos du quartier

La révolution bolivarienne du Venezuela est souvent résumée à la figure emblématique du président Chavez. Pourtant, loin du palais de Miraflores, un certain nombre de communautés des quartiers populaires de Caracas appuie le processus. Prendre le métro jusqu'à La Paz. De là, marcher quinze minutes jusqu'à La India. Prendre ensuite une camionnette en direction de Las Cuatras Esquinas. Marcher à nouveau. Vous êtes arrivé dans la communauté de Las Casitas, au cœur du barrio de La Vega, immense quartier populaire de 180 000 âmes sur les coteaux de Caracas. Il s'agit de l'un de ces quartiers les plus pauvres de la ville, ressemblant beaucoup aux favelas brésiliennes. Un des plus politisés aussi avec les barrios de 23 de Enero et d'El Valle.

Là-haut, après plus d'une heure et demie de route, habite Edgard Perez, " El Gordo ". Leader presque naturel de la communauté, il dirige celle-ci de l'intérieur de sa maison, la plus haute du barrio, la plus haute de Caracas… À ses pieds s'étend l'immensité de La Vega. Au loin, coincée entre les montagnes, on aperçoit la nuit, la tracée lumineuse faite par Caracas, telle une langue jaune venant lécher le fond de la vallée.

Surtout, ne vous y trompez pas, El Gordo, n'est pas simplement un personnage haut en couleurs, à la faconde caribéenne, et dont les cicatrices témoignent des nombreuses batailles, armes à la main, qu'il a pu mener. El Gordo est avant tout un militant politique. Ancien communiste, il se définit aujourd'hui comme anarchiste, répudie la notion d'avant-garde, et croit en la démocratie directe au sein de la communauté et ailleurs.

Le fonctionnement de la communauté de La Vega

Edgard Perez a commencé à militer à l'âge de quinze ans. Il est l'un des fondateurs du barrio de La Vega tel qu'il existe aujourd'hui, avec ses petites maisons de briques rouges, souvent jamais terminées. Son histoire militante est intimement liée à ce barrio, et aux mouvements de résistance que lui et ces compagnons ont dû construire, à la fois face à la bureaucratie, la quatrième république (1) qui voyait d'un mauvais œil l'apparition spontanée de ce type d'habitations, mais aussi, face aux dealers de drogue qui pensaient trouver dans ce barrio un terrain favorable à leur marché. Aussi, quand El Gordo parle de son quartier, le terme résistance arrive presque spontanément : " L'histoire de La Vega commence il y a plus de 400 ans. Elle était peuplée des Indiens Toromaima. Ils passaient par là pour aller à Caracas, résister et harceler les envahisseurs espagnols. " Il parle aussi de l'histoire récente, celle dont il est le contemporain. Le travail fait pour l'amélioration des conditions de vie dans le quartier. Le bétonnage des rues, la mise en place de l'eau courante et des égouts, le tracé des lignes électriques. Un travail de salubrité publique toujours discuté dans le cadre de la communauté, seule instance de décision. Depuis longtemps la communauté s'est organisée. " On n'a pas attendu Chavez pour se regrouper et défendre nos intérêts, même si depuis qu'il est au pouvoir, les choses sont beaucoup plus simples pour nous. " En effet, le quartier compte désormais un centre médical dont le médecin, cubain, est présent en permanence, un centre d'accès Internet gratuit, un supermarché d'État, Mercal, qui fournit les produits de base à bon marché ainsi que les aliments, la fourniture d'aliments destinés à la cantine populaire. Cette dernière fonctionne depuis deux ans grâce à 5 femmes, toutes bénévoles et fournit chaque jour 150 repas à des familles démunies.

Mais ce qui marque encore davantage ici, c'est cette impression que pour beaucoup de gens, et de jeunes en particulier, s'impliquer dans les " missions " d'éducation populaire, dans la musique, la vidéo, les médias alternatifs est quelque chose d'important, de valorisé. Un " peuple conscient et qui avance ". Et comment ne pas ressentir un fort pincement " du côté du poumon " lorsque ces jeunes, improvisant des paroles sur la Guantanamera, reprennent en cœur au refrain " Venezuela socialista ! " Quand les pauvres renouent avec l'idéal socialiste, l'espoir est permis…

Pour El Gordo et quelques autres, cet idéal socialiste est intimement lié à leur vie. Au point de tenter aujourd'hui, suivant les paroles de Chavez, d'inventer le socialisme du XXIe siècle. " On peut dire qu'à La Vega à partir de la fin des années soixante, il y avait une organisation, une base très forte, on parlait de 800 hommes en armes, avec une réelle expérience militaire. À cette époque, nous croyions beaucoup à la notion d'avant-garde. On a essayé d'importer une révolution qui n'était pas la nôtre. Même le modèle cubain, le plus proche de nous, ne nous convient pas. Ce n'est pas un modèle où la participation populaire est importante, mais un modèle foquiste (2) développé par Che Guevara et Fidel Castro, fonctionnant à Cuba mais pas ici. Ici le modèle foquiste a isolé les révolutionnaires, et nous a conduits à la défaite. Aujourd'hui, avec la révolution bolivarienne, nous commençons à surmonter cette défaite. Aujourd'hui nous redécouvrons nos propres penseurs et l'histoire de nos luttes. " Et au départ ces luttes revendiquaient des choses strictement matérielles, des escaliers, des égouts, des caniveaux. La méthode étaient simple : la prise d'assaut des institutions avec toute la population du quartier jusqu'à l'obtention d'une réponse.

La coopérative Calle y Media

Cette habitude de la lutte est aujourd'hui un des héritages revendiqués par la jeune génération. Très méfiante des partis traditionnels, elle s'auto organise dans la communauté, et prône une prise de décision horizontale. La réussite la plus marquante est la coopérative Calle y Media. L'un des membres les plus actifs est Marcelo Andrade, réalisateur de trois documentaires, " Abajo el colonialismo… Pachamama (3) libre ! ", " Venezuela bolivariana " et " El viejo y jesus, profetas de rebelion ". Dans chacun de ses documentaires, une thématique transversale : la mémoire des quartiers, et la lutte contre le capitalisme et la domination. La coopérative Calle y Media concentre ses efforts sur le développement d'une pratique artisanale, collective et en autosubsistance d'une production audiovisuelle dont le but est la transmission de l'information du peuple vénézuélien en lutte. Marcelo, avec un air malicieux, explique que " la coopérative développe plusieurs activités. Nous nous servons de l'outil audiovisuel pour impulser des discussions au sein du quartier à travers des portraits que nous réalisons. Nous faisons aussi pour la population des ateliers pratiques de vidéo et de montage. Enfin nous avons un cinéma itinérant. Nous projetons des fictions ou des documentaires pour les enfants et les adultes. Le but étant toujours d'impulser un débat. " Aujourd'hui les jeunes qui gèrent Calle y Media bénéficient d'une reconnaissance qui va bien au-delà du barrio de la Vega. Le succès de leur production leur permet de voyager dans le monde et en Europe pour présenter leurs productions. Car c'est là un autre but de tout ce travail communautaire : l'extension de la lutte contre le capitalisme à travers notamment l'échange d'expériences.

Le Projet Nuestra America

Cette volonté d'étendre la lutte est l'une des raisons qui a prévalu, entre autres, à la création du projet " Nuestra America ". Pour El Gordo, il s'agit de faire de ces instruments de lutte et d'auto-organisation la base du futur pouvoir populaire qui doit s'imposer contre les instruments de la légalité bourgeoise, et en premier lieu le Parlement. C'est à ce titre que le courant qu'il représente, " el proyecto nuestra america ", appelle en général à ne pas participer aux élections. Toutefois ce principe a connu récemment deux entorses significatives : d'abord l'appel à voter non au référendum révocatoire lancé par l'opposition contre Chavez (en août 2004), et l'appel à participer aux dernières élections législatives de novembre 2005, dans la mesure où le boycott de l'opposition risquait de délégitimer les résultats en cas d'abstentionnisme trop fort.

Au-delà des conceptions générales, c'est donc un certain pragmatisme qui s'impose, mais qui renvoie à un problème de fond : une certaine difficulté à articuler un processus d'auto-organisation qui tend à revendiquer le pouvoir, avec l'intervention directe sur le champ politique, au niveau des grandes orientations, avec un programme. Ce pourrait être le rôle d'un parti mais telle n'est pas la conception d'El Gordo. Sa vision est d'ailleurs partagée par une grande partie de la population. Si celle-ci, dans sa grande majorité appuie le processus (la marche de soutien à Chavez du 4 février dernier a rassemblé plus de 600 000 personnes dans les rues de Caracas), elle ne se déplace pas pour autant aux urnes (en moyenne 30 % de participation) ; sauf lorsqu'il s'agit de voter pour Chavez (présidentielle, référendum), où là, le taux de participation est très important. Cela symbolise bien la méfiance de la population envers les partis, que cela soit le MVR (le parti de Chavez) où les autres partis de gauche (Podemos, Patria Para Todos, Partido Comunista Venezolano). Pourtant, certains pensent que la création d'un véritable parti révolutionnaire, relais des aspirations populaires, est nécessaire. C'est notamment le cas d'un autre animateur du projet "Nuestra America", Roland Denis, ancien ministre de la Planification, et auteur du livre "Rebelion en la Revolucion", qui pense lui, que le processus actuel doit conduire à l'émergence d'un parti révolutionnaire pour mener cette bataille sur le terrain directement politique. "
La plupart des groupes qui se développent dans les communautés sont sans base organisationnelle, sans histoire et sans tradition. Pour eux, tout est à inventer. Il est indispensable que se crée une véritable organisation de ces communautés car elles sont aujourd'hui fragmentées. Ces mouvements sociaux nécessitent une grande coordination. C'est l'enjeu du projet Nuestra America ".

Et c'est bien aussi le véritable enjeu aujourd'hui du processus. Malgré des avancées incontestables au bénéfice des couches les plus défavorisées, la lourdeur bureaucratique de l'appareil d'État ainsi que le contexte continental pèsent énormément. Dans ce cadre-là, la seule voie pour la Révolution bolivarienne pour ne pas s'essouffler est de se donner les moyens d'une véritable structuration populaire capable, non seulement de porter les aspirations des plus pauvres, mais d'être le fer de lance de la révolution face à la réaction locale et internationale.

(1) A la chute de Marcos Pérez Jiménez en 1958, lui succède la Quatrième République (1958-1998) et le pacte du Punto Fijo. Les principaux partis de l'époque, l'Acción Democrática (social-démocrate), le COPEI (social-chrétien) et l'Unión Republicana Democrática, s'allient pour écarter du pouvoir le Parti Communiste du Venezuela.
(2) La théorie du foquisme est la construction et le développement de foyers de guérilla jusqu'à provoquer la déchéance de l'appareil d'Etat bourgeois. On retrouve la thématique du " foco " dans les écrits du Che.
(3) La Pachamama est la figure originelle de la mère Terre ou matrice universelle dans la croyance indienne.

Par Yannick Lacoste

Publié dans: Les cahiers de Louise

Voir aussi le dossier: Quartier La Vega

DOSSIER: Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA)

L’Alternative bolivarienne pour les Amériques est une initiative lancée par le président vénézuélien Hugo Chávez et inspirée de la lutte du libertador Simon Bolivar.

L’ALBA se présente comme une alternative d’intégration au projet de Zone de libre-échange des Amériques lancé par les Etats-Unis. Elle a été pour la première fois évoquée par M. Chávez lors du 3e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (Caricom), sur l’île de Margarita, en décembre 2001. Elle est officiellement née à La Havane, en avril 2005. Unj an plus tard, la Bolivie d’Evo Morales a rejoint cette alliance en proposant notamment un Traité commercial des peuples (en opposition aux traités de libre-échange) entre ses membres.

L’ALBA entend se baser sur les principes de solidarité, de coopération et de complémentarité. L’initiative s’oppose notamment à la suppression des droits de douane et propose la création de fonds compensatoires et l’utilisation de commandes publiques privilégiant les coopératives et les petites ou les moyennes industries.

L’ALBA prétend également s’attaquer aux principales faiblesses du continent : l’insuffisance énergétique - en créant Petrosur - et le monopole de l’information - avec Telesur.

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Le président du Venezuela était dans son élément à Brasilia durant le premier sommet de la Ligue arabe et de la Communauté sud-américaine des nations, servant de charnière entre deux mondes qui se rencontrent rarement, et sur lesquels il a basé sa politique extérieure : celui de l’intégration latino-américaine, son rêve bolivarien, et celui du pétrole, pilier de l’économie vénézuélienne et de sa propre diplomatie.
La veille de la réunion, qui rassembla des chefs de 11 pays latino-américains et de 22 nations arabes, dont sept (...)

De l’intégration néolibérale à l’intégration populaire et solidaire
L’ALBA : une alternative réelle pour l’Amérique latine
par Marcelo Colussi
17 mai 2005
Les Etats-Unis d’Amérique sont actuellement et en tous points la première puissance mondiale. Avec un produit intérieur brut (PIB) de 11,25 milliards de dollars par an, leur économie est de loin la plus développée du globe. Le pays qui les suit en terme de développement, le Japon, est 16 fois plus petit.
Evidemment, l’essor d’il y a des décennies, la force qui les a caractérisés depuis le milieu du XIXème siècle et qui a permis que le XXème puisse être considéré comme un « siècle américain », ont commencé à s’affaiblir. De (...)

L’intégration régionale après l’échec de la Zone de libre-échange des Amériques
par Raúl Zibechi
16 mars 2005
Tous les gouvernements latino-américains parlent d’intégration, mais les avancées concrètes pour la construire sont beaucoup plus difficiles que les simples déclarations. Après l’échec de la ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques ; en espagnol : ALCA), la région se trouve confrontée au défi de rester divisée, à la merci des intérêts des grandes puissances ou d’entamer le chemin vers l’unité continentale. Et même dans le cas où prédomineraient les thèses intégrationnistes, il reste à définir quel type d’intégration on prétend construire.

Le nouveau mouvement coopératif vénézuélien

par Camila Piñeiro Harnecker

Je suis arrivée à Caracas en juillet 2005 avec quelques contacts dans différentes coopératives, inquiète de savoir comment j’allais pouvoir passer en revue une par une plus de 70 000 coopératives auxquelles la Superintendencia Nacional de Cooperativas (l’organisme national responsable des coopératives, la SUNACOOP) avait fait allusion dans ses récents communiqués de presse. J’ai effectivement trouvé des coopératives partout. En l’espace d’une nuit, je suis tombée par hasard sur quatre coopératives créées là où on ne s’y attend pas forcément : un groupe d’artisans à côté de mon hôtel, un groupe de guides touristiques qui s’occupe de divertir les enfants dans un parc à côté, les employés de nettoyage d’un bureau où je suis allée faire une interview, et même les chauffeurs de taxi devant l’hôtel où j’étais qui avaient quitté la société privée pour laquelle ils travaillaient pour former une coopérative.

Beaucoup de gouvernements locaux, d’institutions publiques, y compris la compagnie pétrolière du Venezuela, Petróleos de Venezuela (PDVSA), ont fait de la place aux petites entreprises, en particulier aux coopératives. Ces établissements ont mis en place des procédures d’appels d’offre qui, tout en exigeant une qualité et des coûts compétitifs, ne discriminent pas les petites entreprises ni les coopératives. Ils ont aussi encouragé les employés du secteur privé à créer leurs coopératives. Par exemple, la CADELA, une des cinq branches régionales de la compagnie d’électricité nationale publique, a encouragé les personnes employées dans des entreprises sous-traitantes de maintenance et de sécurité à quitter leur employeur privé pour former leur propre coopérative. La CADELA est une entreprise cogérée [par les travailleurs et l’Etat], et a beaucoup soutenu les coopératives [1]. (...) La division des travaux publics de la principale municipalité de Caracas a encouragé la création de « cabinets de travaux locaux » dans lesquels les habitants s’organisent eux-mêmes en « tables de travail » pour décider des travaux publics à faire au niveau des infrastructures et supervisent eux-mêmes ces travaux. La communauté décide aussi quelles coopératives du voisinage se chargera du travail en question. [2]

Quand le président Hugo Chavez est arrivé au pouvoir en 1998, il y avait seulement 762 coopératives au Venezuela [3]. Ces coopératives, comme le reste de la société vénézuélienne, ont survécu aux mesures d’ajustement structurel initiées sous la présidence de Carlos Andrés Pérez en 1989. Durant ces vingt dernières années, le Produit Intérieur Brut (PIB) du Venezuela n’a fait pratiquement que baisser, et les inégalités ont atteint un niveau extrême. On estime[ait] à 80% la part de la population vivant dans la pauvreté et à plus de 50% la population travaillant dans le secteur informel. [4] L’économie vénézuélienne est par ailleurs fortement dépendante de son revenu pétrolier, étant donné que la plus grande partie de son PIB vient des exportations de pétrole [5]. Une grande partie de la nourriture est importée, ce qui place la production nationale alimentaire du Venezuela à un niveau bien inférieur du niveau de production minimum d’autosuffisance alimentaire d’un pays selon les indicateurs de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, sigles en anglais). [6]

Pour faire face à cette situation économique et sociale, l’administration Chavez s’est engagée dans un nouveau modèle de développement, appelé « développement endogène ». Le concept est fortement inspiré des idées d’Osvaldo Sunkel exprimées dans Development from within : Toward a neostructuralist approach for Latin America (1993) [Développement de l’intérieur : vers une approche néo structuraliste pour l’Amérique latine]. Cette approche préconise une adaptation des politiques de substitution des importations des secteurs dans lesquels le développement local, adapté aux conditions et aux ressources locales d’emploi spécifiques, le développement humain et l’égalité des revenus sont considérés comme prioritaires. L’interprétation officielle du développement endogène met aussi l’accent sur l’importance du développement local, diversifié et durable, ainsi que sur un engagement à respecter les différentes identités et cultures du Venezuela [7]. De façon encore plus significative, toujours dans cette optique d’inclure les secteurs historiquement marginalisés de la société vénézuélienne, le gouvernement Chavez reconnaît également le besoin de « démocratiser » l’économie, de combattre les inégalités et d’encourager la solidarité afin de rembourser la « dette sociale » accumulée envers les secteurs populaires.

Le modèle de production coopérative a petit à petit défini les stratégies de développement de la « révolution bolivarienne ». Dans son rapport d’août 2005, la SUNACOOP recensait 83.769 coopératives, dont plus de 40 000 coopératives créées en 2004 et presque 30.000 autres coopératives formées entre janvier et août 2005. Le nombre total de membres des coopératives atteignait 945 517 en octobre 2004, bien plus que les 215 000 de 1998.

Cette prolifération s’explique par la reconnaissance des coopératives dans la constitution bolivarienne de 1999 en tant qu’acteurs économiques clés dans l’économie sociale de la nation. Les coopératives y sont décrites comme des outils d’inclusion économique, de participation (article 70) et de décentralisation de l’Etat (article 184). De façon plus significative, l’Etat doit « promouvoir et protéger » les coopératives (articles 118 et 308). Ce n’était pas le cas jusqu’à ce que la Loi spéciale des associations de coopératives soit publiée en septembre 2001 et que le nombre de coopératives commence à croître passant de presque 1.000 coopératives en 2001, à plus de 2 000 l’année suivante et plus de 8 000 en 2003. [8]

En mars 2004, la Mission Vuelvan Caras fut créée pour « changer le modèle économique, social, politique et culturel du pays, afin de mettre en place un Etat de justice et de droit soutenu par un développement socio-économique endogène, comme écrit dans la constitution bolivarienne » [9]. La plupart des étudiants étaient des diplômés récents d’autres missions éducatives qui ont permis aux Vénézuéliens de terminer leurs études primaires et secondaires. Les missions sont des programmes sociaux qui promeuvent l’éducation, la santé et la culture. Elles sont financées par les surplus du revenu pétrolier et gérées directement par le pouvoir exécutif. Elles furent créées par l’administration Chavez comme des structures parallèles pour contourner la bureaucratie des ministères existants.

Grâce à Vuelvan Caras, entre décembre 2004 et mai 2005, 264 720 étudiants se sont diplômés à l’issue d’un semestre ou d’une année d’enseignement en matières scientifiques, techniques, de gestion ou d’histoire, ou encore ont bénéficié de cours sur la citoyenneté ou les valeurs des coopératives. Pendant le semestre ou l’année d’étude, les étudiants ont reçu une bourse et ont pu améliorer leur qualité de vie, en particulier au niveau de la santé et du logement. Bien que les diplômés de Vuelvan Caras soient libres dans leur recherche d’emploi ou la création de leur propre micro entreprise, il leur fut dit clairement que les coopératives étaient une forme d’organisation préférable qui se verrait accordée le soutien de l’Etat de façon prioritaire. Les étudiants participant à la mission furent encouragés à créer des coopératives et 195 095 diplômés, soit presque 70% des diplômés, l’ont fait, donnant ainsi naissance à 7 592 nouvelles coopératives [10].

En septembre 2004, le gouvernement vénézuélien a créé un Ministère de l’Economie Populaire (MINEP) pour apporter un soutien et institutionnaliser le programme Vuelvan Caras et pour coordonner le travail des institutions de crédit existantes et de celles nouvellement créées. Son rôle est de coordonner et d’élaborer des politiques de promotion des micro entreprises, des coopératives et d’autres unités productives autosubsistantes qui contribuent au bien-être collectif et qui mettent en valeur le travail productif [11]. Les publications du MINEP affirment que le programme Vuelvan Caras n’est pas un programme pour l’emploi, et que les coopératives ne sont pas encouragées dans le but de trouver un emploi à tous les étudiants diplômés (comme il s’est engagé à le faire), car les coopératives sont considérées comme une composante essentielle « d’un modèle économique orienté vers le bien-être collectif plus que vers l’accumulation du capital » [12].

Après avoir gagné le referendum révocatoire (15 août 2004) [13], qui a laissé l’opposition titubante, le gouvernement Chavez a défini le « nouveau plan stratégique » d’une nouvelle étape de la « révolution bolivarienne ». Ce nouveau plan fut élaboré lors d’une rencontre entre les membres du gouvernement en novembre 2004. Un des dix objectifs stratégiques mentionnés par Chavez est l’engagement « à avancer vers la formation d’une nouvelle structure sociale », « d’un nouveau modèle démocratique de participation de la population », et « à accélérer la construction d’un nouveau modèle de production tourné vers la formation d’un nouveau système économique » [14].

La création et le soutien du MINEP aux coopératives faisant partie des « noyaux de développement endogène » (Núcleos de desarrollo Endógeno) est une stratégie clé pour atteindre cet objectif. Un « noyau de développement endogène » est formé par une ou plusieurs coopératives de Vuelvan Caras, qui se sont regroupées pour concevoir un projet - avec l’aide de spécialistes du MINEP - portant sur un espace physique (terre, usines, installations) que les coopératives ont identifié et qui peut être mis à disposition par le MINEP. Après la proposition du projet et son approbation, les coopératives reçoivent un soutien technique sur place et les crédits nécessaires - généralement à des taux d’intérêts zéro, et avec des délais privilégiés de remboursement. Le terrain est en général accordé aux coopératives en usufruit. En mai 2005 il y avait 115 noyaux de développement en activité, avec un total de 27 975 diplômés de Vuelvan Caras (presque 10% du total des diplômés) travaillant dans 960 coopératives (presque 12% du total des coopératives créées grâce à la mission) : 73,5% d’entre elles établies dans l’agriculture employant 20 411 diplômés dans 699 coopératives ; 14,8% dans l’industrie employant 4.377 diplômés dans 155 coopératives ; et 10,4% dans le tourisme employant 3 063 diplômés dans 103 coopératives [15].

Lors de visites de « noyaux de développement endogène », une spécialisée dans la production, une dans l’agriculture, et enfin une autre dans le tourisme, j’ai pu me rendre compte des nombreux efforts requis et des difficultés qu’impliquait l’établissement de tels noyaux. Les spécialistes du MINEP fournissent une assistance technique constante sur le site et font pression sur la bureaucratie de manière à ce que les infrastructures et les inputs que sont censées obtenir les coopératives de la part des institutions publiques, comme écrit dans leurs contrats, soient effectivement délivrés. Le plus grand défi à relever concerne les problèmes de communication interne, selon la majorité des membres des coopératives, mais il semble que le temps et la pratique dans un cadre d’égalité des droits devraient résoudre ce problème. La plupart des coopératives ont des capacités administratives et de gestion limitées et ceux qui commencent à suivre les cours de gestion et d’administration dispensés par le MINEP sont encore peu nombreux. Cependant, la plupart des coopératives que j’ai rencontrées semblent très conscientes de l’importance de la productivité. Leur engagement à être productif n’est pas seulement moral (« Vuelvan Caras doit être un succès »), mais aussi rationnel - au sens économique du terme. Afin de recevoir de nouveaux crédits et pour maintenir les ressources accordées en usufruit, les coopératives doivent rembourser leurs prêts et respecter leurs contrats.

La majorité des coopératives se trouvent dans le secteur de la production de biens et services et dans l’agriculture [16]. Le fait que le MINEP se concentre sur les coopératives des secteurs de la production et de l’agriculture témoigne de la priorité donnée à la production des biens répondant aux besoins de première nécessité. C’est cohérent également avec l’objectif de l’administration Chavez de sécurité alimentaire et de réduction de la dépendance vis-à-vis des importations d’autres produits de première nécessité.

Depuis mars 2005, le MINEP met en place des comités techniques régionaux pour décentraliser ses fonctions et ses services. Chaque comité technique régional comprend toutes les institutions d’Etat subordonnées au MINEP, dont la SUNACOOP, l’Institut national pour l’éducation (l’INCE, qui fournit la majorité de la logistique et des spécialistes) et les six institutions spécialisées de financement, dont plusieurs ont été créées par le gouvernement Chavez. Le but est de créer une « synergie » décentralisée d’institutions publiques, accessibles au public et transparentes en matière administrative, permettant un contrôle citoyen accru. Aussi, cette approche organisationnelle a été choisie pour éviter la bureaucratisation, l’inefficience, la corruption et d’autres maux. Dans son objectif de placer tous ses diplômés, le MINEP prévoit d’activer bientôt 140 autres noyaux de développement [17]. Il aspire aussi à financer toutes les coopératives de Vuelvan Caras, 60% d’entre elles (4 036) ont déjà reçu plus de 265 millions de dollars, tandis que 30% d’autres étaient censées recevoir leur financement en septembre 2005 [18].

En septembre 2005, le MINEP a tenu la première d’une série de rencontres régionales dans le but de « débattre et de résoudre les aspects stratégiques des performances de la mission Vuelvan Caras dans chaque état du pays » [19]. Une fois que toutes les coopératives et les noyaux de développement seront actives (après avoir reçu les installations, les équipements, l’assistance technique et les crédits, si nécessaire), le MINEP prévoit de commencer un nouveau cycle de la mission Vuelvan Caras. Vuelvan Caras II devrait commencer en janvier 2006 avec plus de 700 000 étudiants et espère les organiser au sein de 2 000 nouvelles coopératives [20].

En plus de fournir une assistance technique, des infrastructures, des crédits pour les coopératives et les micro entreprises, le MINEP cherche également à garantir un marché pour la production des coopératives et cherche à faciliter les contrats avec les institutions publiques et les entreprises en organisant des rencontres entre les différents acteurs du secteur. L’organisme travaille à intégrer les petites et moyennes entreprises avec les coopératives dans la chaîne de production, et à faciliter les contrats avec des acheteurs étrangers par le biais d’accords bilatéraux. Bien que les coopératives soient censées au départ produire pour leur autosubsistance, et pour les marchés locaux qu’elles peuvent atteindre avec leurs propres ressources, la production pour les marchés nationaux et étrangers n’est pas mise de côté mais au contraire poursuivie activement. L’idée principale est que les coopératives et les noyaux de développement devraient s’intégrer à d’autres coopératives pour accroître la valeur à travers le traitement et la transformation, et pour distribuer et commercialiser les biens tout en évitant les intermédiaires.

Ceux qui critiquent ces politiques de l’administration Chavez mettent l’accent sur le fait que la corruption a augmenté, engendrée par la gestion des crédits accordés aux coopératives. Cependant, bien qu’il y ait toujours des moyens de contourner les règles, les instituts de financement du MINEP essayent d’éviter la corruption en limitant les prêts, que les coopératives reçoivent en nature, à la liste des ressources spécifiques mentionnées dans le projet. Plus important encore, les nouveaux mécanismes légaux établis par la constitution bolivarienne - la Loi contre la corruption en 2003 (Ley Contra la Corrupción), la Loi organique d’audit de la République en 2003 (Ley Orgánica de Contraloría General de la República), et la Loi organique de l’administration publique (Ley Orgánica de la Administración Pública) ont été créées afin de permettre aux citoyens d’« exercer » un contrôle social sur les ressources publiques et d’obliger les fonctionnaires à être transparents. Cependant, la présence d’anciens bureaucrates dans les institutions publiques, qui ne sont pas engagés dans ce changement, ou qui usent de leurs positions pour saboter le processus, est un frein à l’efficacité de ces mécanismes de contrôle social.

Les critiques affirment également qu’une fois que les prix du baril de pétrole auront baissé, il n’y aura plus de ressources pour financer ces politiques. Beaucoup s’inquiètent des réserves pétrolières du Venezuela et prédisent qu’elles seront épuisées d’ici 25 à 100 ans. Cependant, en misant sur le capital humain et en promouvant les petites et moyennes entreprises, l’administration Chavez fait en réalité ce que la plupart des économistes - y compris les libéraux - préconisent. Il se peut que les coopératives ne soient pas la façon la plus efficace au niveau économique d’allouer les ressources d’un pays, mais en attendant qu’une nouvelle façon de démocratiser l’économie apparaisse, les coopératives semblent être une bonne alternative. Bien que la mise en place de ces politiques ne se fasse pas sans problèmes, si l’on considère les limites et les inconvénients que présente une industrialisation à grande échelle, il est difficile d’envisager une meilleure façon de créer de l’emploi, de stimuler l’économie et de réduire la dépendance aux importations.

Dans de nombreux rapports de presse et autres interviews, le superintendant de la SUNACOOP et d’autres membres officiels ont reconnu qu’il y avait de nombreux dysfonctionnements au sein des coopératives nouvellement formées, dus en partie à un manque de connaissance des valeurs de coopération et un manque de capacités administratives. Le ministre du MINEP a reconnu que des entreprises classiques « s’étaient converties en coopératives, sans intention de transfert de pouvoir à leurs employés [...] mais pour éviter les taxes nationales dont les coopératives sont exemptées. » [21]. Parmi les irrégularités trouvées par la SUNACOOP dans les un peu de moins de 300 coopératives auditées avant juillet 2005, 50% de ces irrégularités concernaient des erreurs et illégalités comptables et administratives, 30% provenait de l’exclusion de membres des surplus, 22% concernait des processus de décision non démocratique, et 1% faisait référence à la sous-traitance de travailleurs sur des périodes plus que temporaires (3-6 mois) [22]. De nombreuses mesures ont été prises afin de lutter contre ces dysfonctionnements, qui s’expliquent aussi par le fait que la SUNACOOP n’était pas préparée pour faire face à une croissance si rapide du nombre des coopératives. Effectivement, la SUNACOOP n’a travaillé qu’avec huit auditeurs et chaque audit requiert au moins deux jours [23]. Depuis juin 2005, la SUNACOOP fait un effort accéléré pour certifier et auditer toutes les coopératives afin d’identifier les problèmes et les résoudre. Maintenant il y a au moins un auditeur dans chacun des 24 états (conformément au processus de décentralisation) en plus des six auditeurs qui sont à Caracas, et il était prévu d’auditer 1 742 coopératives de septembre à décembre 2005 [24]. Le but est de réaliser un audit de toutes les coopératives afin de leur fournir une évaluation « pédagogique », dont des recommandations et des mesures à prendre pour éviter des sanctions ou éviter d’être fermée.

Le budget de la SUNACOOP a été augmenté et il en sera de même pour le personnel. La SUNACOOP recevra également plus d’équipement et de technologie. Puisque « le coopératisme est devenu un axe transversal des politiques publiques du gouvernement national », la SUNACOOP devrait travailler en coopération non seulement avec le MINEP mais aussi avec d’autres institutions de l’Etat [25]. En août 2005, s’est achevé le premier round d’une série de rencontres portant sur la situation du mouvement coopératif et ayant pour but de rassembler des idées pour faire des suggestions au niveau des politiques mises en œuvre et des changements nécessaires au niveau des lois et réglementations. Ces rencontres sont aussi une tentative de pousser en avant une intégration du nouveau mouvement coopératif avec le mouvement coopératif pré-Chavez, ou traditionnel.

En parlant avec des membres du mouvement coopératif traditionnel au Venezuela, j’ai remarqué que même si ces membres avaient été invités à participer à la rédaction de la loi sur les coopératives, ils se sentaient exclus de sa mise en application. Ils affirmaient que la promotion des coopératives par le gouvernement était irresponsable et opportuniste car il était devenu bien trop facile de créer une coopérative (il n’est plus nécessaire de prouver la faisabilité de la coopérative) et que cette promotion des coopératives s’expliquait par rapport aux agendas politiques. La plupart des nouvelles coopératives sont menacées d’échec, disent les critiques, parce qu’elles dépendent des ressources de l’Etat et qu’elles manquent de capacités en gestion et administratives. Ils reprochent également au MINEP de créer des coopératives avec des membres qui ne partagent pas les valeurs des coopératives et de les corrompre en leur fournissant des crédits faciles et une aide trop paternaliste. Quand le débat politique sur l’administration Chavez au Venezuela divisait considérablement, les tensions étaient fortes.

Cependant, il y a des signes montrant que les relations s’améliorent. En effet, la SUNACOOP a invité publiquement ces coopératives traditionnelles à participer aux débats sur un conseil national des coopératives et à la révision de la loi. En septembre 2005, le ministère des Affaires étrangères vénézuélien a tenu un meeting avec le Centre national des coopératives vénézuéliennes (CECONAVE, l’organe principal du mouvement coopératif traditionnel) afin d’examiner les façons de les soutenir, en particulier de les aider dans l’accès aux marchés étrangers et en vue d’apprendre de leurs succès [26].

Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact réel des coopératives au Venezuela, mais ce ne serait pas complètement erroné d’affirmer qu’elles ont contribué à l’augmentation de l’emploi dans le secteur formel [27] et de la croissance économique sans que cette croissance provienne des exportations du pétrole [28]. Plus important encore, les nouvelles coopératives au Venezuela devraient s’engager à travailler pour le bien-être de la communauté dans laquelle elles sont situées. Dans les articles 3 et 4 de la Loi sur les coopératives de 2001, il est écrit que « la responsabilité sociale » et « l’engagement envers la communauté » font respectivement partie des valeurs et principes des coopératives. Lors d’interviews auprès de 25 coopératives, j’ai pu observer que ces idées étaient largement partagées. En dépit de leur courte vie et de leurs maigres ressources, beaucoup de coopératives ont fait des dons à leur communauté et ont fourni un emploi temporaire à ceux qui sont les plus désespérés. Des groupes de militants socialement engagés de communautés ont créé des coopératives à but non lucratif pour fournir des services de première nécessité et pour améliorer le niveau de vie de leurs communautés. Afin de consolider cette « responsabilité sociale », l’administration Chavez presse les coopératives et les autres entreprises à devenir des « entreprises de production sociale » (Empresas de Produccion Social, EPS) qui seraient hautement réceptives à la communauté dans laquelle elles se trouvent.

Même si beaucoup de coopératives échouent, cela ne signifie pas que leur promotion est une mauvaise politique de l’emploi. Cela montrerait plutôt que le développement requiert un soutien effectif de l’Etat, aussi bien en terme d’éducation que de ressources, pour briser le cycle de la pauvreté et du sous-développement. Comme l’a dit Chavez, en l’empruntant au professeur de Bolivar, Simon Rodriguez, « soit on invente, soit on se trompe d’emblée » (« O inventamos o erramos »). Il semble que la clé du succès des nouvelles coopératives au Venezuela consiste à trouver un équilibre entre volontarisme et pragmatisme, de façon à ce que l’ardeur au changement se traduise effectivement par une transformation concrète et durable.

NOTES:

[1] La CADELA a contracté en 2004 des services avec 575 coopératives pour un montant total de plus de 3,2 millions de dollars et pour presque 3 millions de dollars entre janvier et juin 2005. [CADELA : Informe NO. 21040-0000-26. Juillet 2005].

[2] En 2004, 50% des projets de la municipalité ont été effectués par 170 coopératives pour un montant avoisinant le million de dollars. [Marta Harnecker : La Experiencia del Presupuesto Participativo de Caracas, décembre 2004].

[3] SUNACOOP, rapport mensuel d’août 2005.

[4] Albo, Greg. 2005. Venezuela under Chávez : the Bolivarian Revolution against Neo-liberalism. In “The Unexpected Revolution : the Venezuelan People Confront Neo-Liberalism.” Socialist Interventions Pamphlet Series, mars 2005.

[5] ECLA. Statistical Yearbook for Latin America and the Caribbean, 2004. Santiago : United Nations Publication, avril 2005.

[6] PROVEA. Situación de los Derechos Humanos en Venezuela : Informe Anual : Oct. 2003- sept. 2004. Caracas, 2004 p. 57.

[7] MINEP : Informe de Gestión para la Asamblea General de la OEA, mai 2005.

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] [NDLR] Consultez à ce sujet le dossier « Référendum au Venezuela » sur le RISAL.

[14] Ministère des Communications et de l’Information : Taller de Alto Nivel “El nuevo mapa estratégico”, septembre 2004.

[15] MINEP : Informe de Gestión para la Asamblea General de la OEA, mai 2005.

[16] Sur le nombre total de coopératives, 54% sont dans la production de biens et services, 30% dans l’agriculture, 9% dans les transports, 4% dans les services sociaux, 2% dans la consommation, et 1% dans l’épargne et les crédits [SUNACOOP : rapport mensuel, août 2005].

[17] Ibid.

[18] Publications du MINEP : Financiadas 60% de cooperativas de Vuelvan Caras. MINEP inicia gabinetes regionales, septembre 2005.

[19] Ibid.

[20] Publications du MINEP : Vuelvan Caras II buscará consolidar el modelo económico cooperativista, septembre 2005.

[21] Publications de la SUNACOOP : Presupuesto Nacional 2006 : MINEP destina 13 millardos de bolívares para SUNACOOP, septembre 2005.

[22] SUNACOOP : Plan de Fiscalización Nacional de Cooperativas, septembre 2005 ; et autre rapports.

[23] Déclarations de membres du département d’audit de la SUNACOOP.

[24] SUNACOOP : Plan de Fiscalización Nacional de Cooperativas, septembre 2005.

[25] Publications de la SUNACOOP : SUNACOOP profundiza vigilancia en las cooperativas, septembre 2005.

[26] 5e Grand Titre : Foreign Ministry (MRE) to help Venezuelan cooperative movement to expand abroad. 16 septembre 2005.

[27] Le taux de chômage a baissé de 16,8% en 2003 à 13,7% en 2004. Plus significatif, le taux d’emploi du secteur formel a augmenté de 47,3% en 2003 à 54,2% en janvier-juin 2005 et le taux d’emploi du secteur informel a baissé de 52,7% en 2003 à 45,8% en 2005 [Institut National des Statistiques : juin 2005].

[28] Au cours du premier semestre 2005, le secteur de la construction a augmenté de 20,3%, celui du commerce et des services non gouvernementaux de 20,3% et celui de l’industrie de 12,4% [Rapport économique du gouvernement 2005 sur http://www.gobiernoenlinea.gob.ve ].

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RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/

Source : Venezuelanalysis.com (www.venezuelanalysis.com), 17 décembre 2005.

Traduction : Raphaelle Barret, pour le RISAL (www.risal.collectifs.net).

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