Le nouveau mouvement coopératif vénézuélien

par Camila Piñeiro Harnecker

Je suis arrivée à Caracas en juillet 2005 avec quelques contacts dans différentes coopératives, inquiète de savoir comment j’allais pouvoir passer en revue une par une plus de 70 000 coopératives auxquelles la Superintendencia Nacional de Cooperativas (l’organisme national responsable des coopératives, la SUNACOOP) avait fait allusion dans ses récents communiqués de presse. J’ai effectivement trouvé des coopératives partout. En l’espace d’une nuit, je suis tombée par hasard sur quatre coopératives créées là où on ne s’y attend pas forcément : un groupe d’artisans à côté de mon hôtel, un groupe de guides touristiques qui s’occupe de divertir les enfants dans un parc à côté, les employés de nettoyage d’un bureau où je suis allée faire une interview, et même les chauffeurs de taxi devant l’hôtel où j’étais qui avaient quitté la société privée pour laquelle ils travaillaient pour former une coopérative.

Beaucoup de gouvernements locaux, d’institutions publiques, y compris la compagnie pétrolière du Venezuela, Petróleos de Venezuela (PDVSA), ont fait de la place aux petites entreprises, en particulier aux coopératives. Ces établissements ont mis en place des procédures d’appels d’offre qui, tout en exigeant une qualité et des coûts compétitifs, ne discriminent pas les petites entreprises ni les coopératives. Ils ont aussi encouragé les employés du secteur privé à créer leurs coopératives. Par exemple, la CADELA, une des cinq branches régionales de la compagnie d’électricité nationale publique, a encouragé les personnes employées dans des entreprises sous-traitantes de maintenance et de sécurité à quitter leur employeur privé pour former leur propre coopérative. La CADELA est une entreprise cogérée [par les travailleurs et l’Etat], et a beaucoup soutenu les coopératives [1]. (...) La division des travaux publics de la principale municipalité de Caracas a encouragé la création de « cabinets de travaux locaux » dans lesquels les habitants s’organisent eux-mêmes en « tables de travail » pour décider des travaux publics à faire au niveau des infrastructures et supervisent eux-mêmes ces travaux. La communauté décide aussi quelles coopératives du voisinage se chargera du travail en question. [2]

Quand le président Hugo Chavez est arrivé au pouvoir en 1998, il y avait seulement 762 coopératives au Venezuela [3]. Ces coopératives, comme le reste de la société vénézuélienne, ont survécu aux mesures d’ajustement structurel initiées sous la présidence de Carlos Andrés Pérez en 1989. Durant ces vingt dernières années, le Produit Intérieur Brut (PIB) du Venezuela n’a fait pratiquement que baisser, et les inégalités ont atteint un niveau extrême. On estime[ait] à 80% la part de la population vivant dans la pauvreté et à plus de 50% la population travaillant dans le secteur informel. [4] L’économie vénézuélienne est par ailleurs fortement dépendante de son revenu pétrolier, étant donné que la plus grande partie de son PIB vient des exportations de pétrole [5]. Une grande partie de la nourriture est importée, ce qui place la production nationale alimentaire du Venezuela à un niveau bien inférieur du niveau de production minimum d’autosuffisance alimentaire d’un pays selon les indicateurs de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, sigles en anglais). [6]

Pour faire face à cette situation économique et sociale, l’administration Chavez s’est engagée dans un nouveau modèle de développement, appelé « développement endogène ». Le concept est fortement inspiré des idées d’Osvaldo Sunkel exprimées dans Development from within : Toward a neostructuralist approach for Latin America (1993) [Développement de l’intérieur : vers une approche néo structuraliste pour l’Amérique latine]. Cette approche préconise une adaptation des politiques de substitution des importations des secteurs dans lesquels le développement local, adapté aux conditions et aux ressources locales d’emploi spécifiques, le développement humain et l’égalité des revenus sont considérés comme prioritaires. L’interprétation officielle du développement endogène met aussi l’accent sur l’importance du développement local, diversifié et durable, ainsi que sur un engagement à respecter les différentes identités et cultures du Venezuela [7]. De façon encore plus significative, toujours dans cette optique d’inclure les secteurs historiquement marginalisés de la société vénézuélienne, le gouvernement Chavez reconnaît également le besoin de « démocratiser » l’économie, de combattre les inégalités et d’encourager la solidarité afin de rembourser la « dette sociale » accumulée envers les secteurs populaires.

Le modèle de production coopérative a petit à petit défini les stratégies de développement de la « révolution bolivarienne ». Dans son rapport d’août 2005, la SUNACOOP recensait 83.769 coopératives, dont plus de 40 000 coopératives créées en 2004 et presque 30.000 autres coopératives formées entre janvier et août 2005. Le nombre total de membres des coopératives atteignait 945 517 en octobre 2004, bien plus que les 215 000 de 1998.

Cette prolifération s’explique par la reconnaissance des coopératives dans la constitution bolivarienne de 1999 en tant qu’acteurs économiques clés dans l’économie sociale de la nation. Les coopératives y sont décrites comme des outils d’inclusion économique, de participation (article 70) et de décentralisation de l’Etat (article 184). De façon plus significative, l’Etat doit « promouvoir et protéger » les coopératives (articles 118 et 308). Ce n’était pas le cas jusqu’à ce que la Loi spéciale des associations de coopératives soit publiée en septembre 2001 et que le nombre de coopératives commence à croître passant de presque 1.000 coopératives en 2001, à plus de 2 000 l’année suivante et plus de 8 000 en 2003. [8]

En mars 2004, la Mission Vuelvan Caras fut créée pour « changer le modèle économique, social, politique et culturel du pays, afin de mettre en place un Etat de justice et de droit soutenu par un développement socio-économique endogène, comme écrit dans la constitution bolivarienne » [9]. La plupart des étudiants étaient des diplômés récents d’autres missions éducatives qui ont permis aux Vénézuéliens de terminer leurs études primaires et secondaires. Les missions sont des programmes sociaux qui promeuvent l’éducation, la santé et la culture. Elles sont financées par les surplus du revenu pétrolier et gérées directement par le pouvoir exécutif. Elles furent créées par l’administration Chavez comme des structures parallèles pour contourner la bureaucratie des ministères existants.

Grâce à Vuelvan Caras, entre décembre 2004 et mai 2005, 264 720 étudiants se sont diplômés à l’issue d’un semestre ou d’une année d’enseignement en matières scientifiques, techniques, de gestion ou d’histoire, ou encore ont bénéficié de cours sur la citoyenneté ou les valeurs des coopératives. Pendant le semestre ou l’année d’étude, les étudiants ont reçu une bourse et ont pu améliorer leur qualité de vie, en particulier au niveau de la santé et du logement. Bien que les diplômés de Vuelvan Caras soient libres dans leur recherche d’emploi ou la création de leur propre micro entreprise, il leur fut dit clairement que les coopératives étaient une forme d’organisation préférable qui se verrait accordée le soutien de l’Etat de façon prioritaire. Les étudiants participant à la mission furent encouragés à créer des coopératives et 195 095 diplômés, soit presque 70% des diplômés, l’ont fait, donnant ainsi naissance à 7 592 nouvelles coopératives [10].

En septembre 2004, le gouvernement vénézuélien a créé un Ministère de l’Economie Populaire (MINEP) pour apporter un soutien et institutionnaliser le programme Vuelvan Caras et pour coordonner le travail des institutions de crédit existantes et de celles nouvellement créées. Son rôle est de coordonner et d’élaborer des politiques de promotion des micro entreprises, des coopératives et d’autres unités productives autosubsistantes qui contribuent au bien-être collectif et qui mettent en valeur le travail productif [11]. Les publications du MINEP affirment que le programme Vuelvan Caras n’est pas un programme pour l’emploi, et que les coopératives ne sont pas encouragées dans le but de trouver un emploi à tous les étudiants diplômés (comme il s’est engagé à le faire), car les coopératives sont considérées comme une composante essentielle « d’un modèle économique orienté vers le bien-être collectif plus que vers l’accumulation du capital » [12].

Après avoir gagné le referendum révocatoire (15 août 2004) [13], qui a laissé l’opposition titubante, le gouvernement Chavez a défini le « nouveau plan stratégique » d’une nouvelle étape de la « révolution bolivarienne ». Ce nouveau plan fut élaboré lors d’une rencontre entre les membres du gouvernement en novembre 2004. Un des dix objectifs stratégiques mentionnés par Chavez est l’engagement « à avancer vers la formation d’une nouvelle structure sociale », « d’un nouveau modèle démocratique de participation de la population », et « à accélérer la construction d’un nouveau modèle de production tourné vers la formation d’un nouveau système économique » [14].

La création et le soutien du MINEP aux coopératives faisant partie des « noyaux de développement endogène » (Núcleos de desarrollo Endógeno) est une stratégie clé pour atteindre cet objectif. Un « noyau de développement endogène » est formé par une ou plusieurs coopératives de Vuelvan Caras, qui se sont regroupées pour concevoir un projet - avec l’aide de spécialistes du MINEP - portant sur un espace physique (terre, usines, installations) que les coopératives ont identifié et qui peut être mis à disposition par le MINEP. Après la proposition du projet et son approbation, les coopératives reçoivent un soutien technique sur place et les crédits nécessaires - généralement à des taux d’intérêts zéro, et avec des délais privilégiés de remboursement. Le terrain est en général accordé aux coopératives en usufruit. En mai 2005 il y avait 115 noyaux de développement en activité, avec un total de 27 975 diplômés de Vuelvan Caras (presque 10% du total des diplômés) travaillant dans 960 coopératives (presque 12% du total des coopératives créées grâce à la mission) : 73,5% d’entre elles établies dans l’agriculture employant 20 411 diplômés dans 699 coopératives ; 14,8% dans l’industrie employant 4.377 diplômés dans 155 coopératives ; et 10,4% dans le tourisme employant 3 063 diplômés dans 103 coopératives [15].

Lors de visites de « noyaux de développement endogène », une spécialisée dans la production, une dans l’agriculture, et enfin une autre dans le tourisme, j’ai pu me rendre compte des nombreux efforts requis et des difficultés qu’impliquait l’établissement de tels noyaux. Les spécialistes du MINEP fournissent une assistance technique constante sur le site et font pression sur la bureaucratie de manière à ce que les infrastructures et les inputs que sont censées obtenir les coopératives de la part des institutions publiques, comme écrit dans leurs contrats, soient effectivement délivrés. Le plus grand défi à relever concerne les problèmes de communication interne, selon la majorité des membres des coopératives, mais il semble que le temps et la pratique dans un cadre d’égalité des droits devraient résoudre ce problème. La plupart des coopératives ont des capacités administratives et de gestion limitées et ceux qui commencent à suivre les cours de gestion et d’administration dispensés par le MINEP sont encore peu nombreux. Cependant, la plupart des coopératives que j’ai rencontrées semblent très conscientes de l’importance de la productivité. Leur engagement à être productif n’est pas seulement moral (« Vuelvan Caras doit être un succès »), mais aussi rationnel - au sens économique du terme. Afin de recevoir de nouveaux crédits et pour maintenir les ressources accordées en usufruit, les coopératives doivent rembourser leurs prêts et respecter leurs contrats.

La majorité des coopératives se trouvent dans le secteur de la production de biens et services et dans l’agriculture [16]. Le fait que le MINEP se concentre sur les coopératives des secteurs de la production et de l’agriculture témoigne de la priorité donnée à la production des biens répondant aux besoins de première nécessité. C’est cohérent également avec l’objectif de l’administration Chavez de sécurité alimentaire et de réduction de la dépendance vis-à-vis des importations d’autres produits de première nécessité.

Depuis mars 2005, le MINEP met en place des comités techniques régionaux pour décentraliser ses fonctions et ses services. Chaque comité technique régional comprend toutes les institutions d’Etat subordonnées au MINEP, dont la SUNACOOP, l’Institut national pour l’éducation (l’INCE, qui fournit la majorité de la logistique et des spécialistes) et les six institutions spécialisées de financement, dont plusieurs ont été créées par le gouvernement Chavez. Le but est de créer une « synergie » décentralisée d’institutions publiques, accessibles au public et transparentes en matière administrative, permettant un contrôle citoyen accru. Aussi, cette approche organisationnelle a été choisie pour éviter la bureaucratisation, l’inefficience, la corruption et d’autres maux. Dans son objectif de placer tous ses diplômés, le MINEP prévoit d’activer bientôt 140 autres noyaux de développement [17]. Il aspire aussi à financer toutes les coopératives de Vuelvan Caras, 60% d’entre elles (4 036) ont déjà reçu plus de 265 millions de dollars, tandis que 30% d’autres étaient censées recevoir leur financement en septembre 2005 [18].

En septembre 2005, le MINEP a tenu la première d’une série de rencontres régionales dans le but de « débattre et de résoudre les aspects stratégiques des performances de la mission Vuelvan Caras dans chaque état du pays » [19]. Une fois que toutes les coopératives et les noyaux de développement seront actives (après avoir reçu les installations, les équipements, l’assistance technique et les crédits, si nécessaire), le MINEP prévoit de commencer un nouveau cycle de la mission Vuelvan Caras. Vuelvan Caras II devrait commencer en janvier 2006 avec plus de 700 000 étudiants et espère les organiser au sein de 2 000 nouvelles coopératives [20].

En plus de fournir une assistance technique, des infrastructures, des crédits pour les coopératives et les micro entreprises, le MINEP cherche également à garantir un marché pour la production des coopératives et cherche à faciliter les contrats avec les institutions publiques et les entreprises en organisant des rencontres entre les différents acteurs du secteur. L’organisme travaille à intégrer les petites et moyennes entreprises avec les coopératives dans la chaîne de production, et à faciliter les contrats avec des acheteurs étrangers par le biais d’accords bilatéraux. Bien que les coopératives soient censées au départ produire pour leur autosubsistance, et pour les marchés locaux qu’elles peuvent atteindre avec leurs propres ressources, la production pour les marchés nationaux et étrangers n’est pas mise de côté mais au contraire poursuivie activement. L’idée principale est que les coopératives et les noyaux de développement devraient s’intégrer à d’autres coopératives pour accroître la valeur à travers le traitement et la transformation, et pour distribuer et commercialiser les biens tout en évitant les intermédiaires.

Ceux qui critiquent ces politiques de l’administration Chavez mettent l’accent sur le fait que la corruption a augmenté, engendrée par la gestion des crédits accordés aux coopératives. Cependant, bien qu’il y ait toujours des moyens de contourner les règles, les instituts de financement du MINEP essayent d’éviter la corruption en limitant les prêts, que les coopératives reçoivent en nature, à la liste des ressources spécifiques mentionnées dans le projet. Plus important encore, les nouveaux mécanismes légaux établis par la constitution bolivarienne - la Loi contre la corruption en 2003 (Ley Contra la Corrupción), la Loi organique d’audit de la République en 2003 (Ley Orgánica de Contraloría General de la República), et la Loi organique de l’administration publique (Ley Orgánica de la Administración Pública) ont été créées afin de permettre aux citoyens d’« exercer » un contrôle social sur les ressources publiques et d’obliger les fonctionnaires à être transparents. Cependant, la présence d’anciens bureaucrates dans les institutions publiques, qui ne sont pas engagés dans ce changement, ou qui usent de leurs positions pour saboter le processus, est un frein à l’efficacité de ces mécanismes de contrôle social.

Les critiques affirment également qu’une fois que les prix du baril de pétrole auront baissé, il n’y aura plus de ressources pour financer ces politiques. Beaucoup s’inquiètent des réserves pétrolières du Venezuela et prédisent qu’elles seront épuisées d’ici 25 à 100 ans. Cependant, en misant sur le capital humain et en promouvant les petites et moyennes entreprises, l’administration Chavez fait en réalité ce que la plupart des économistes - y compris les libéraux - préconisent. Il se peut que les coopératives ne soient pas la façon la plus efficace au niveau économique d’allouer les ressources d’un pays, mais en attendant qu’une nouvelle façon de démocratiser l’économie apparaisse, les coopératives semblent être une bonne alternative. Bien que la mise en place de ces politiques ne se fasse pas sans problèmes, si l’on considère les limites et les inconvénients que présente une industrialisation à grande échelle, il est difficile d’envisager une meilleure façon de créer de l’emploi, de stimuler l’économie et de réduire la dépendance aux importations.

Dans de nombreux rapports de presse et autres interviews, le superintendant de la SUNACOOP et d’autres membres officiels ont reconnu qu’il y avait de nombreux dysfonctionnements au sein des coopératives nouvellement formées, dus en partie à un manque de connaissance des valeurs de coopération et un manque de capacités administratives. Le ministre du MINEP a reconnu que des entreprises classiques « s’étaient converties en coopératives, sans intention de transfert de pouvoir à leurs employés [...] mais pour éviter les taxes nationales dont les coopératives sont exemptées. » [21]. Parmi les irrégularités trouvées par la SUNACOOP dans les un peu de moins de 300 coopératives auditées avant juillet 2005, 50% de ces irrégularités concernaient des erreurs et illégalités comptables et administratives, 30% provenait de l’exclusion de membres des surplus, 22% concernait des processus de décision non démocratique, et 1% faisait référence à la sous-traitance de travailleurs sur des périodes plus que temporaires (3-6 mois) [22]. De nombreuses mesures ont été prises afin de lutter contre ces dysfonctionnements, qui s’expliquent aussi par le fait que la SUNACOOP n’était pas préparée pour faire face à une croissance si rapide du nombre des coopératives. Effectivement, la SUNACOOP n’a travaillé qu’avec huit auditeurs et chaque audit requiert au moins deux jours [23]. Depuis juin 2005, la SUNACOOP fait un effort accéléré pour certifier et auditer toutes les coopératives afin d’identifier les problèmes et les résoudre. Maintenant il y a au moins un auditeur dans chacun des 24 états (conformément au processus de décentralisation) en plus des six auditeurs qui sont à Caracas, et il était prévu d’auditer 1 742 coopératives de septembre à décembre 2005 [24]. Le but est de réaliser un audit de toutes les coopératives afin de leur fournir une évaluation « pédagogique », dont des recommandations et des mesures à prendre pour éviter des sanctions ou éviter d’être fermée.

Le budget de la SUNACOOP a été augmenté et il en sera de même pour le personnel. La SUNACOOP recevra également plus d’équipement et de technologie. Puisque « le coopératisme est devenu un axe transversal des politiques publiques du gouvernement national », la SUNACOOP devrait travailler en coopération non seulement avec le MINEP mais aussi avec d’autres institutions de l’Etat [25]. En août 2005, s’est achevé le premier round d’une série de rencontres portant sur la situation du mouvement coopératif et ayant pour but de rassembler des idées pour faire des suggestions au niveau des politiques mises en œuvre et des changements nécessaires au niveau des lois et réglementations. Ces rencontres sont aussi une tentative de pousser en avant une intégration du nouveau mouvement coopératif avec le mouvement coopératif pré-Chavez, ou traditionnel.

En parlant avec des membres du mouvement coopératif traditionnel au Venezuela, j’ai remarqué que même si ces membres avaient été invités à participer à la rédaction de la loi sur les coopératives, ils se sentaient exclus de sa mise en application. Ils affirmaient que la promotion des coopératives par le gouvernement était irresponsable et opportuniste car il était devenu bien trop facile de créer une coopérative (il n’est plus nécessaire de prouver la faisabilité de la coopérative) et que cette promotion des coopératives s’expliquait par rapport aux agendas politiques. La plupart des nouvelles coopératives sont menacées d’échec, disent les critiques, parce qu’elles dépendent des ressources de l’Etat et qu’elles manquent de capacités en gestion et administratives. Ils reprochent également au MINEP de créer des coopératives avec des membres qui ne partagent pas les valeurs des coopératives et de les corrompre en leur fournissant des crédits faciles et une aide trop paternaliste. Quand le débat politique sur l’administration Chavez au Venezuela divisait considérablement, les tensions étaient fortes.

Cependant, il y a des signes montrant que les relations s’améliorent. En effet, la SUNACOOP a invité publiquement ces coopératives traditionnelles à participer aux débats sur un conseil national des coopératives et à la révision de la loi. En septembre 2005, le ministère des Affaires étrangères vénézuélien a tenu un meeting avec le Centre national des coopératives vénézuéliennes (CECONAVE, l’organe principal du mouvement coopératif traditionnel) afin d’examiner les façons de les soutenir, en particulier de les aider dans l’accès aux marchés étrangers et en vue d’apprendre de leurs succès [26].

Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact réel des coopératives au Venezuela, mais ce ne serait pas complètement erroné d’affirmer qu’elles ont contribué à l’augmentation de l’emploi dans le secteur formel [27] et de la croissance économique sans que cette croissance provienne des exportations du pétrole [28]. Plus important encore, les nouvelles coopératives au Venezuela devraient s’engager à travailler pour le bien-être de la communauté dans laquelle elles sont situées. Dans les articles 3 et 4 de la Loi sur les coopératives de 2001, il est écrit que « la responsabilité sociale » et « l’engagement envers la communauté » font respectivement partie des valeurs et principes des coopératives. Lors d’interviews auprès de 25 coopératives, j’ai pu observer que ces idées étaient largement partagées. En dépit de leur courte vie et de leurs maigres ressources, beaucoup de coopératives ont fait des dons à leur communauté et ont fourni un emploi temporaire à ceux qui sont les plus désespérés. Des groupes de militants socialement engagés de communautés ont créé des coopératives à but non lucratif pour fournir des services de première nécessité et pour améliorer le niveau de vie de leurs communautés. Afin de consolider cette « responsabilité sociale », l’administration Chavez presse les coopératives et les autres entreprises à devenir des « entreprises de production sociale » (Empresas de Produccion Social, EPS) qui seraient hautement réceptives à la communauté dans laquelle elles se trouvent.

Même si beaucoup de coopératives échouent, cela ne signifie pas que leur promotion est une mauvaise politique de l’emploi. Cela montrerait plutôt que le développement requiert un soutien effectif de l’Etat, aussi bien en terme d’éducation que de ressources, pour briser le cycle de la pauvreté et du sous-développement. Comme l’a dit Chavez, en l’empruntant au professeur de Bolivar, Simon Rodriguez, « soit on invente, soit on se trompe d’emblée » (« O inventamos o erramos »). Il semble que la clé du succès des nouvelles coopératives au Venezuela consiste à trouver un équilibre entre volontarisme et pragmatisme, de façon à ce que l’ardeur au changement se traduise effectivement par une transformation concrète et durable.

NOTES:

[1] La CADELA a contracté en 2004 des services avec 575 coopératives pour un montant total de plus de 3,2 millions de dollars et pour presque 3 millions de dollars entre janvier et juin 2005. [CADELA : Informe NO. 21040-0000-26. Juillet 2005].

[2] En 2004, 50% des projets de la municipalité ont été effectués par 170 coopératives pour un montant avoisinant le million de dollars. [Marta Harnecker : La Experiencia del Presupuesto Participativo de Caracas, décembre 2004].

[3] SUNACOOP, rapport mensuel d’août 2005.

[4] Albo, Greg. 2005. Venezuela under Chávez : the Bolivarian Revolution against Neo-liberalism. In “The Unexpected Revolution : the Venezuelan People Confront Neo-Liberalism.” Socialist Interventions Pamphlet Series, mars 2005.

[5] ECLA. Statistical Yearbook for Latin America and the Caribbean, 2004. Santiago : United Nations Publication, avril 2005.

[6] PROVEA. Situación de los Derechos Humanos en Venezuela : Informe Anual : Oct. 2003- sept. 2004. Caracas, 2004 p. 57.

[7] MINEP : Informe de Gestión para la Asamblea General de la OEA, mai 2005.

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] [NDLR] Consultez à ce sujet le dossier « Référendum au Venezuela » sur le RISAL.

[14] Ministère des Communications et de l’Information : Taller de Alto Nivel “El nuevo mapa estratégico”, septembre 2004.

[15] MINEP : Informe de Gestión para la Asamblea General de la OEA, mai 2005.

[16] Sur le nombre total de coopératives, 54% sont dans la production de biens et services, 30% dans l’agriculture, 9% dans les transports, 4% dans les services sociaux, 2% dans la consommation, et 1% dans l’épargne et les crédits [SUNACOOP : rapport mensuel, août 2005].

[17] Ibid.

[18] Publications du MINEP : Financiadas 60% de cooperativas de Vuelvan Caras. MINEP inicia gabinetes regionales, septembre 2005.

[19] Ibid.

[20] Publications du MINEP : Vuelvan Caras II buscará consolidar el modelo económico cooperativista, septembre 2005.

[21] Publications de la SUNACOOP : Presupuesto Nacional 2006 : MINEP destina 13 millardos de bolívares para SUNACOOP, septembre 2005.

[22] SUNACOOP : Plan de Fiscalización Nacional de Cooperativas, septembre 2005 ; et autre rapports.

[23] Déclarations de membres du département d’audit de la SUNACOOP.

[24] SUNACOOP : Plan de Fiscalización Nacional de Cooperativas, septembre 2005.

[25] Publications de la SUNACOOP : SUNACOOP profundiza vigilancia en las cooperativas, septembre 2005.

[26] 5e Grand Titre : Foreign Ministry (MRE) to help Venezuelan cooperative movement to expand abroad. 16 septembre 2005.

[27] Le taux de chômage a baissé de 16,8% en 2003 à 13,7% en 2004. Plus significatif, le taux d’emploi du secteur formel a augmenté de 47,3% en 2003 à 54,2% en janvier-juin 2005 et le taux d’emploi du secteur informel a baissé de 52,7% en 2003 à 45,8% en 2005 [Institut National des Statistiques : juin 2005].

[28] Au cours du premier semestre 2005, le secteur de la construction a augmenté de 20,3%, celui du commerce et des services non gouvernementaux de 20,3% et celui de l’industrie de 12,4% [Rapport économique du gouvernement 2005 sur http://www.gobiernoenlinea.gob.ve ].

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RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/

Source : Venezuelanalysis.com (www.venezuelanalysis.com), 17 décembre 2005.

Traduction : Raphaelle Barret, pour le RISAL (www.risal.collectifs.net).

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