Par Yannick Lacoste et Édouard Diago
Avec plus de 7 millions de voix, un million de plus que lors du référendum révocatoire de 2004, validées par une commission d’observateurs internationaux reconnue par le candidat d’opposition, il faut de la mauvaise foi pour nier le caractère profondément démocratique de la réélection d’Hugo Chavez. L’opposition ne maintient pas moins une forte pression médiatique, relayée en France par Libération et Le Monde. Paulo A. Paranagua et Rémy Ourdan pour Le Monde, J.-H. Armengaud pour Libération ont choisi le camp de l’opposition vénézuélienne qui a organisé un coup d’État en 2002 avec la participation des principaux médias privés. Renvoyer les missions populaires au rang d’anecdotes, comme le fait M. Paranagua en expliquant qu’elles sont des « palliatifs qui ne modifient pas une éducation nationale défaillante », c’est oublier qu’elles ont permis à l’Unesco de déclarer, en octobre 2005, le Venezuela « terre libérée de l’analphabétisme ». S’il y a encore beaucoup à faire dans le domaine de la médecine, 20 000 médecins soignent dorénavant gratuitement les populations des quartiers populaires. Ce ne sont que deux exemples qui expliquent que, dans certains « barrios » de Caracas, plus de 80 % ont voté pour Chavez alors qu’il continue de prôner une radicalisation du processus révolutionnaire en s’attaquant concrètement aux intérêts du capital vénézuélien.
Parlant de « démanteler l’État bourgeois[...] obstacle à la révolution », Chavez a annoncé le non-renouvellement de la concession à la chaîne de télévision RCTV à cause de sa participation au coup d’État de 2002. Elle devrait être remplacée par une chaîne publique qui diffusera des productions nationales indépendantes, des télévisions communautaires et alternatives tout en continuant à employer une majorité des personnels de RCTV. Chavez s’est prononcé pour la renationalisation de toutes les entreprises privatisées depuis 1989, en commençant par la téléphonie et l’électricité, deux secteurs aux mains d’entreprises nord-américaines. Par ces nationalisations, Chavez entend établir « la propriété sociale des secteurs stratégiques des moyens de production ».
De la République bolivarienne à la République socialiste ?
La Constitution devrait être modifiée par référendum pour permettre en particulier la suppression de l’autonomie de la banque centrale qui ne répond pas aux décisions gouvernementales, ou la modification du nom du pays, de République bolivarienne en République socialiste. Un débat traverse aujourd’hui la gauche vénézuélienne concernant la mise sur pied d’un Parti socialiste unifié, qui regrouperait les forces appuyant Chavez dans une seule organisation. Mais peut-on regrouper au sein d’une même force les partisans d’un capitalisme encadré et les partisans d’une révolution socialiste ?
Le nouveau gouvernement accompagne ce cours radical. Jorge Rodriguez, dirigeant de la Liga Socialista, parti clairement anticapitaliste, sera le nouveau vice-président en remplacement de José Vicente Rangel, identifié à l’aile conciliatrice du chavisme. Un ministre du PCV ainsi qu’un ministre se réclamant du trotskysme et membre du parti de Chavez, le ministre du Travail, entrent au gouvernement. Cela permet à Chavez de dire une nouvelle fois publiquement qu’il adhère à la théorie de la « révolution permanente » développée par Trotsky. Dénonciateur de l’expérience soviétique de parti unique et de confiscation de la démocratie politique, le cours démocratique de la révolution bolivarienne est réaffirmé par la volonté de développer le pouvoir communautaire communal, de remettre en jeu son élection par un référendum à mi-mandat. Quant à la volonté d’être réélu à vie, comme l’écrit la propagande du Monde et de Libération, il ne s’agit que de s’aligner sur ce qui se fait en Europe, chacun étant libre de présenter sa candidature sans limitation de mandat.
Comme la gauche révolutionnaire vénézuélienne, comme les camarades du Proyecto Nuestra America et du Partido Revolucion y Socialismo, nous devons appuyer ces mesures et la volonté d’avancer vers une transformation radicale et anticapitaliste de la société vénézuélienne. Mais le socialisme ne se construit pas uniquement par décrets. Il faudra l’intervention directe des masses, organisées dans les syndicats, dans les comités populaires, dans les partis révolutionnaires et les milices de défense nationale, pour imposer concrètement ces mesures, puis les défendre face à l’activité intense de déstabilisation que développe la bourgeoisie vénézuélienne avec le concours du gouvernement des Etats-Unis. Tout l’enjeu du processus bolivarien est là : faire que le peuple s’approprie les propositions de Chavez pour battre autant la droite que la bureaucratie enkystée dans le processus révolutionnaire. C’est à ce prix que les premiers pas vers le socialisme se feront.
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